« 120 battements par minute » : une contagion de la colère, de l’amour et du partage
« 120 battements par minute » : une contagion de la colère, de l’amour et du partage
Par Thomas Sotinel
Le film de Robin Campillo, distingué à Cannes, retrace le combat contre le sida des militants d’Act Up dans les années 1990.
A première vue, c’est une ponctuation terrifiante qui scande le voyage infernal et magnifique des héros de 120 battements par minute : la caméra attrape des grains de poussière qui flottent dans les faisceaux de lumière, au-dessus d’une piste de danse ; insensiblement, ces particules prennent des formes organiques jusqu’à se faire cellules et virus, qui s’assemblent, se divisent pour mieux se multiplier.
Il en va de cette image inventée par Robin Campillo comme du reste de son film : ce qui semble au premier abord une métaphore funèbre (la mort est dans l’air, puisque nous sommes au pic de l’épidémie de sida, au moment où la médecine n’apporte aux malades d’autre secours que palliatif) est aussi une représentation de la vie. La contagion, c’est la diffusion de la maladie, c’est aussi le partage de la colère, de l’énergie ; le virus se transmet, comme les informations et le savoir qui permettront d’en limiter la propagation, d’élaborer des thérapies efficaces. Bref, Campillo renverse cul par-dessus tête la vieille scie attribuée à Cocteau : « Le cinéma, c’est filmer la mort au travail. » Devant sa caméra, c’est la vie – celle de ceux qui ne sont plus, celle de ceux qui ont été sauvés grâce à ce combat – qui s’épanouit.
Pour jeter ce pont du néant à l’existence, Robin Campillo a puisé dans sa mémoire de militant d’Act Up. Scénariste et monteur de son film, il lui donne une pulsation rapide (celle des titres électro sur lesquels on dansait alors, celle d’un cœur au bord de l’affolement) qui impose l’urgence dans laquelle vivent ses personnages, militants que la maladie ou l’infection a réunis. Dès la première séquence, qui montre le débat qui suit une intervention spectaculaire du groupe lors d’une réunion de l’Agence française contre le sida, il donne une réalité physique à la dialectique entre les actes et le discours. Et alors qu’on n’a pas encore eu le temps de faire connaissance avec les personnages, on discerne très bien cette autre dialectique, plus mystérieuse, entre les affects individuels et l’engagement collectif.
Les étincelles jaillissent
Prenez le personnage d’Hélène (Catherine Vinatier), mère d’un jeune garçon hémophile contaminé par transfusion. Elle détonne dans un groupe majoritairement gay, dont elle est l’aînée d’une quinzaine d’années. Et son statut de mère bienveillante vole en éclats lorsqu’elle demande, au grand scandale des jeunes plus libertaires, l’emprisonnement des responsables de la contamination. Entre l’utopie et la rétribution, entre la fermeté doctrinale (voire la raideur) et l’amour maternel, les étincelles jaillissent.
Peu à peu, deux figures se détachent. Nathan (Arnaud Valois), nouveau venu dans l’association, et Sean (Nahuel Pérez Biscayart), vétéran d’un combat que la maladie rend de plus en plus difficile à livrer. Ils sont portés par le même courant, mais il apparaît qu’ils n’ont pas la même route à parcourir, ce qui ne les empêche pas de s’aimer. Cet amour éphémère à l’ombre d’une fin à laquelle Sean ne peut échapper est d’autant plus bouleversant que nous savons aujourd’hui qu’il ne s’en fallait que de quelques mois pour qu’il en aille autrement.
Campillo laisse de côté les effets faciles, demandant à ses acteurs d’emmener leurs personnages jusqu’au bout du chemin, sans effets spéciaux, sans paroxysmes pour parvenir à la vérité d’un moment qui resterait autrement enfoui. Ici, la fin de la vie, c’est encore la vie.
120 battements par minute, de Robin Campillo. Avec Nahuel Pérez Biscayart, Arnaud Valois, Adèle Haenel, Antoine Reinartz (Fr., 2017, 140 min).