Cristina Kirchner mise en examen dans l’affaire des « cahiers de corruption »
Cristina Kirchner mise en examen dans l’affaire des « cahiers de corruption »
Par Christine Legrand (Buenos Aires, correspondante)
L’ex-présidente argentine est soupçonnée d’avoir été à la tête d’un vaste système de pots-de-vin en échange de marchés publics.
Cristina Kirchner, le 3 septembre au tribunal fédéral de Buenos Aires. / EITAN ABRAMOVICH / AFP
L’ancienne présidente péroniste Cristina Kirchner (2007-2015) a été mise en examen, lundi 17 septembre, dans un vaste scandale de corruption, qui secoue l’Argentine depuis début août et dans lequel sont impliqués de hauts fonctionnaires de son administration, mais aussi de grands patrons argentins.
Le juge Claudio Bonadio, chargé de cette affaire dite des « cahiers de la corruption », a demandé le placement en détention préventive de Mme Kirchner en tant que chef d’une association illicite, elle et feu son mari, Nestor Kirchner, président de 2003 à 2007 et mort en 2010. Mais, en tant que sénatrice, elle bénéficie de l’immunité parlementaire, qui lui garantit de rester en liberté. Ce qui n’empêche pas qu’elle puisse être jugée, voire condamnée. Il est peu probable que l’ex-présidente soit placée en détention préventive, car les péronistes, qui détiennent la majorité au Congrès, sont opposés à la levée de son immunité. Miguel Angel Pichetto, chef du plus important bloc péroniste au Parlement, a rappelé qu’une telle mesure ne pouvait être prise « qu’en cas de condamnation, mais pas en cas de détention préventive ». D’autant plus qu’un autre sénateur, Carlos Menem, ex-président péroniste (de 1989 à 1999 (, continue de siéger au Sénat, où il a été réélu en 2017, bien qu’il ait été condamné à sept ans de prison dans une affaire de contrebande d’armes vers l’Equateur et la Croatie.
Le juge Bonadio considère que, « entre 2003 et 2015, une collusion entre fonctionnaires et chefs d’entreprise a fait fonctionner un système de distribution de pots-de-vin à des fonctionnaires », dans lequel des chefs d’entreprise « prétendent avoir cédé aux pressions » en échange de l’octroi de travaux publics. D’après le magistrat, l’argent collecté était parfois utilisé pour financer des campagnes électorales, acheter des juges ou des fonctionnaires, « mais le gros de ces fonds était destiné à enrichir le patrimoine personnel de ceux qui, entre 2003 et 2015, ont occupé les plus hautes fonctions », en référence aux Kirchner.
Cahiers d’écolier
Plus de quarante personnes – anciens fonctionnaires et chefs d’entreprise – ont également été mises en examen, lundi. Parmi les hommes d’affaires figurent notamment Angelo Calcaterra, cousin de l’actuel président du pays, Mauricio Macri, qui a admis avoir versé « sous pression » de l’argent pour des campagnes électorales des Kirchner.
Le juge Bonadio a ordonné la mise sous séquestre des biens de tous les inculpés à hauteur de 4 milliards de pesos, soit environ 90 millions d’euros. Une dizaine d’anciens fonctionnaires du ministère de la planification sont déjà en prison, dont l’ex-ministre Julio de Vido, arrêté en octobre 2017 après s’être vu retirer son immunité de député.
Une vingtaine d’anciens fonctionnaires ou des proches des Kirchner ont décidé de collaborer avec la justice à la faveur d’une loi récente du « repenti », ce qui leur permet d’échapper à la prison. Ils ne sont toutefois pas à l’abri d’une condamnation ultérieure, si les informations fournies sont jugées insuffisantes ou fausses par le magistrat. Les déclarations les plus compromettantes pour Mme Kirchner proviennent ainsi de José Lopez, vice-ministre de la planification de 2003 à 2015, pris en flagrant délit, en juin 2016, alors qu’il tentait de façon rocambolesque de dissimuler 9 millions de dollars (7,7 millions d’euros) en liquide dans un couvent près de Buenos Aires. M. Lopez a affirmé que ce mystérieux butin appartenait à Cristina Kirchner. Un autre repenti a aussi impliqué directement l’ex-présidente : Carlos Wagner, ancien président de la chambre argentine de la construction, et allié, par le passé, des Kirchner, qui a dénoncé un système d’entente pour se répartir les travaux publics.
Le scandale des « cahiers de la corruption » a éclaté le 1er août, à la suite de la révélation de simples cahiers d’écolier dans lesquels Oscar Centeno, un chauffeur qui travaillait pour le ministère de la planification, a noté minutieusement, pendant dix ans, les lieux et dates de remises de sacs d’argent dans des ministères ou à des domiciles des Kirchner.
Le 22 août, le Sénat avait levé, à l’unanimité, une partie de l’immunité parlementaire de Mme Kirchner, permettant au juge Bonadio de procéder à des perquisitions aux différentes adresses de l’ex-présidente, à Buenos Aires, mais aussi dans son fief de Patagonie.
L’annonce de cette nouvelle inculpation survient à la veille d’une troisième convocation de l’ex-présidente devant la justice, qui devait avoir lieu mardi. Mise en cause dans sept procédures judiciaires, Mme Kirchner a été mise en examen dans six d’entre elles. Cinq sont instruites par le juge Bonadio, qu’elle accuse de mener une « persécution politique ».