En Algérie, les limogeages se poursuivent au sein de l’état-major
En Algérie, les limogeages se poursuivent au sein de l’état-major
Par Amir Akef (Alger, correspondance)
Une saisie record de cocaïne en juin a déclenché une série de renvois, d’enquêtes de la justice militaire et de retraits de passeport.
Le général-major Abdelghani Hamel, alors directeur général de la sûreté nationale, à Alger en mars 2016. Son renvoi, le 26 juin 2018, a marqué le début de la série de limogeages dans la haute hiérarchie militaire. / RAMZI BOUDINA / RUETERS
En Algérie, le commandant des forces terrestres, le commandant des forces aériennes et le directeur de la Caisse nationale militaire de la sécurité sociale ont été débarqués, lundi 17 septembre, et mis à la retraite. Ils sont les derniers généraux victimes d’une vague sans précédent de limogeages au sein de la haute hiérarchie de l’armée.
La valse des hauts gradés avait commencé le 26 juin par le renvoi du directeur général de la sûreté nationale (DGSN, police), le général-major Abdelghani Hamel, en relation avec une saisie record (701 kg) de cocaïne opérée par les services de l’armée au port d’Oran. L’éviction de cet homme proche du clan présidentiel et qui semblait promis aux plus hautes charges avait surpris, mais des informations distillées par quelques médias privés notamment Ennahar, devenus des canaux privilégiés du pouvoir, ont fait état de l’implication de son chauffeur personnel dans l’affaire de la saisie de cocaïne.
« Trafic d’influence »
Dix jours plus tard, c’était au tour du commandant de la Gendarmerie nationale, le général-major Menad Nouba, de passer à la trappe. Puis, en août, les limogeages visèrent pas moins d’une quinzaine de généraux. Ces mesures ont concerné des chefs de région militaire, le directeur central de la sécurité de l’armée (DCSA, renseignements), le contrôleur général de l’armée et enfin le commandant des forces terrestres. Toute la haute hiérarchie militaire est touchée au point d’amener certains à parler de « décapitation ».
Plus surprenant : des médias ont révélé dimanche que cinq généraux-majors limogés faisaient l’objet d’une enquête judiciaire militaire pour « trafic d’influence » et « abus de pouvoir ». Le site d’information alg24.net, proche du pouvoir, qui a révélé l’information, enfonce sans ménagement les cinq hommes qui auraient « accapar[é] des richesses incommensurables, profitant de leurs statut et grade ». Chacun d’entre eux, affirme-t-il, « posséderait une trentaine de sociétés spécialisées dans divers domaines […] pour la plupart aux noms de leurs enfants ».
Leurs domiciles ont été perquisitionnés et leurs passeports confisqués après que l’un d’eux, le général Saïd Bey, « a violé l’interdiction de sortie du territoire, en voyageant avec sa famille vers la France, profitant d’une complicité au sein de l’aéroport international d’Alger ». Ce dernier est finalement rentré en Algérie, où son passeport lui a été confisqué.
Course pour la succession
Certains analystes mettent en relation ces changements avec la perspective d’un cinquième mandat d’Abdelaziz Bouteflika, à l’approche du scrutin présidentiel d’avril 2019. Mais l’explication n’est guère probante : l’idée d’une telle réélection – déjà publiquement soutenue par les partis au pouvoir – ne fait pas l’objet d’une contestation au sein du régime.
L’une des thèses en vogue après le premier limogeage était que le général Ahmed Gaïd Salah, vice-ministre de la défense nationale et chef d’état-major de l’armée (dont il est le numéro deux après le président Bouteflika), était à la manœuvre et venait de marquer des points en éliminant l’ambitieux général Hamel de la course pour la succession en cas de vacance du pouvoir présidentiel. Mais aussi qu’il préparait l’armée à l’après-Bouteflika en plaçant ses proches. Une lecture dans la « logique » du système algérien, où l’armée a toujours pesé dans les successions présidentielles. Mais le général Gaïd Salah est-il vraiment l’ordonnateur des derniers changements ?
A Alger, certains en doutent, faisant valoir que les limogeages ont aussi touché certains de ses proches. Pour eux, c’est le président Bouteflika et son clan qui sont derrière ces mouvements. Comme le souligne le quotidien El Watan, depuis l’affaire de la cocaïne qui semble provoquer des réactions en chaîne au sein du régime, les « choses ne sont plus les mêmes et les centres de décision ont bougé ». Pour le journal, ces changements marquent « un isolement, voire la fin du règne d’un chef d’état-major qui détient, désormais, le record du nombre d’années à ce poste ».
La présidence veut-elle écarter le général Gaïd Salah ? Ou bien s’assurer de disposer d’hommes parfaitement loyaux en cas de disparition du chef de l’Etat ? Quoi qu’il en soit, on est loin d’un changement « normal », comme l’avancent régulièrement des responsables algériens. Il ne s’agit pas non plus d’un « rajeunissement » de la haute hiérarchie de l’armée : les nouveaux promus sont aussi âgés que leurs prédécesseurs, dont ils ont souvent été les adjoints.