C’est Debussy qu’on assassine…
C’est Debussy qu’on assassine…
Par Renaud Machart
Le centenaire de la mort du grand compositeur français aurait dû être l’occasion d’un hommage à la mesure de son génie. Ce à quoi ne réussit pas Marie Guilloux.
« Pelléas et Mélisande », de Claude Debussy, dans une mise en scène de Katie Mitchell. / PATRICK BERGER / ARTCOMART
On s’était réjoui de voir Arte diffuser récemment un documentaire de haut vol consacré au compositeur et chef d’orchestre Leonard Bernstein, à l’occasion du centenaire de sa naissance : bravant la crainte de n’être pas accessible, l’auteur décidait, plutôt que de brasser rapidement et donc incomplètement la vie et l’œuvre de l’Américain, de les considérer sous un angle choisi.
Ce film sur Claude Debussy, dont on célèbre en 2018 le centenaire de la mort, fait l’inverse et tente de brosser un portrait général du musicien pour le grand public. Cela n’aurait rien d’indigne sur l’une des chaînes de France Télévisions ou dans le cadre d’une séance pédagogique pour les collèges. Mais pas sur Arte, dont l’exigence intellectuelle devrait être plus grande en matière de musique classique. Le documentaire Prélude à Debussy, de Marie Guilloux, y a d’autant moins sa place qu’il pèche par de nombreux lieux communs, approximations et lacunes.
La musique de Debussy est souvent comparée aux phénomènes de la nature : vent, pluie, brouillards, infinis renouvellements de l’océan. Ces associations sont devenues des clichés, voire des symptômes que d’aucuns moquèrent en parlant de « debussyte », une maladie qu’avaient contractée tant d’imitateurs de son style…
Lieux communs et ridicule
Le virus a atteint ce documentaire, qui accrédite encore plus ces lieux communs en incluant des images floues qui accompagnent les extraits sonores. Le comble du ridicule est atteint lorsque le pianiste Simon Ghraichy – auquel la réalisatrice Marie Guilloux a consacré par ailleurs un clip promotionnel – compare la musique de Debussy à un coussin confortable et même à « de petites plumes qui jaillissent »…
Certes, comme le dit le danseur et chorégraphe Nicolas Le Riche, Debussy est le musicien « de l’immatériel » ; certes, comme ajoute le chef d’orchestre Philippe Jordan, « plus on contrôle la musique de Debussy, plus elle vous échappe ». Mais elle exige une minutie dans les détails pour réaliser à la perfection ce « flou » si fascinant.
Cependant, Debussy n’est pas que sinuosité serpentine, effleurements d’accords capiteux et ronds dans l’eau. Sa dernière période (retour à l’ancien, épure des textures) est même tout l’inverse. Mais rien n’est vraiment dit sur cette évolution esthétique notable. On regrette que les interprètes interrogés n’apportent de lumière vraiment éclairante sur ces points. Pourquoi aucun compositeur – à part Boulez, dans de courts documents d’archives peu intéressants – n’a-t-il été interrogé ?
Les rapports de Debussy avec les arts plastiques sont à peine évoqués : sur ce sujet, le témoignage de Jean-Michel Nectoux, qui a signé un ouvrage essentiel, Harmonie en bleu et or. Debussy, la musique et les arts (Fayard, 2005), aurait été instructif. Puisqu’on évoque les livres à propos du compositeur, on conseillera aussi le singulier et plaisant Debussy à la plage, de Rémy Campos (Gallimard, 224 pages, 35 euros). Un ouvrage richement illustré qui aurait d’ailleurs pu fournir la matière d’un beau documentaire…
De sorte que ce décevant film (dans lequel Marie Guilloux cite des clips préexistants filmés par ses soins, comme la scène « Belle Epoque » avec l’excellente Julie Fuchs) n’apportera rien aux mélomanes et n’offrira qu’une information allusive et partielle quant au génie de celui qui inventa un monde sonore nouveau.
Prélude à Debussy, de Marie Guilloux (Fr., 2018, 52 min).