« Un peuple et son roi » : la Révolution comme un torrent de paroles et de sang
« Un peuple et son roi » : la Révolution comme un torrent de paroles et de sang
Par Thomas Sotinel
Le cinéaste Pierre Schoeller redonne vie aux événements advenus entre 1789 et 1793.
On peut s’amuser, sur un moteur de recherche, à associer n’importe quel produit ou événement – surgelés, migraine, revêtement de sol, mariage princier – au terme « révolution ». On constatera que cette idée s’est dissoute en une infinité de changements cosmétiques et d’évolutions dérisoires. Dans le même temps, la possibilité de changer délibérément le monde est devenue presque inconcevable.
L’ambition de Pierre Schoeller – sans doute la plus haute et la plus folle qu’ait connue le cinéma français ces dernières années – est de redonner vie et sens à la révolution, de mettre en scène la mort d’un monde et la naissance d’un autre, ce qui est advenu en France entre le 9 avril 1789, jeudi saint, un mois avant la réunion des Etats généraux, et le 21 janvier 1793, date de l’exécution de Louis XVI – du jour où le roi lava pour la dernière fois les pieds des enfants pauvres de Paris (c’est la première séquence du film) à celui de sa décapitation.
En deux heures (c’est bien peu), le réalisateur de L’Exercice de l’Etat (2011) concentre les images, les discours, les figures et les conflits avec une acuité intellectuelle et une énergie qui emportent tout, même la gaucherie de certains tours du récit. Allant et venant des galetas du faubourg Saint-Antoine à Versailles, des Tuileries ensanglantées à la salle du Manège de l’Assemblée nationale, Un peuple et son roi précipite les éléments de la France de 1789 dans le creuset de la révolution et analyse l’alliage nouveau qui en sort. Autant qu’un spectacle guidé par un souci de fidélité aux sources, le film de Schoeller est un essai voué à réveiller la réflexion sur l’idée de révolution, sur son actualité. Il en restera aussi bien l’image de ce cheval errant dans la cour des Tuileries au lendemain de l’assaut donné par le peuple contre les Suisses que le désir de poursuivre, par la lecture ou le débat, la conversation impulsée à l’écran.
Le feu et la lumière
Après que le grand et gauche souverain (Laurent Lafitte) a donc lavé les pieds des enfants pauvres, ce rite qui rappelle plus la nature divine du monarque que la charité de la maison de Bourbon, le récit se déplace dans l’atelier de l’Oncle (Olivier Gourmet), maître verrier, à l’ombre des tours de la Bastille. La forteresse vient d’être prise, l’artisan est sceptique quant à la portée de cet accomplissement. Autour de lui, il y a sa compagne Solange (Noémie Lvovsky) et les autres femmes de l’immeuble (Adèle Haenel, Céline Sallette, Izïa Higelin). Passent aussi des figures historiques méconnues : les figures révolutionnaires Lazowski (Andrzej Chyra) et Pauline Léon (Julia Artamonov), quipoussent le feu des discussions devant le four du verrier.
Au long de cette première partie, Schoeller joue avec le feu et la lumière. La plasticité du verre en fusion devient celle d’une éruption solaire, la pénombre qui règne dans le faubourg est frappée par la lumière lorsque la démolition de la Bastille laisse enfin passer le soleil. Le contrepoint sonore de ces lumières passées de l’état d’idées à celui de réalité, ce sont les effusions chantées, les comptines satiriques ou les refrains vengeurs.
Une ellipse amène à 1791, année baptisée « le temps des trahisons » : celle du roi, qui fuit jusqu’à Varennes, celle du gouvernement constitutionnel qui fait tirer sur les manifestants du Champ-de-Mars. Un peuple et son roi trouve alors son rythme, une perpétuelle accélération, faite de contretemps et d’avancées imprévues qui portent les acteurs de l’histoire bien plus loin que la plupart d’entre eux ne l’avaient calculé. Les gens du faubourg Saint-Antoine qui discouraient dans l’atelier du verrier interviennent à l’Assemblée nationale, puis à la Convention. Ils débattent dans les clubs, prennent les armes.
Dans le personnel parlementaire, Pierre Schoeller précipite des figures oubliées à la tribune : on entendra plus Barnave que Danton. Egalement scénariste, le réalisateur a choisi ses intervenants en fonction de leurs discours, conservés dans les archives parlementaires. L’exactitude des propos répond à celle des costumes, des décors. Il ne s’agit pas de reconstituer exactement l’époque pour le plaisir d’un voyage dans le temps, plutôt de stimuler la pensée en supprimant les obstacles que constitueraient les approximations, les erreurs.
Sortie de l’enfance d’une nation
Il ne faut pas non plus égarer le spectateur dans la foule des figures étonnantes qui ont surgi dans les assemblées successives et dans les clubs. Schoeller place Robespierre dans l’œil de la tourmente. On ne s’attendait pas à ce Louis Garrel, dont la renommée repose sur le charme, s’enveloppant de l’impassibilité glaciale de l’incorruptible. Il le fait avec juste ce qu’il faut d’inquiétude, pendant que Denis Lavant, en Marat roué et idéaliste, ne semble jamais douter.
Dans cette marche forcée vers la république, le thème de la lumière fait place à celui de l’incertitude des sens. L’Oncle est frappé de cécité, Basile (Gaspard Ulliel), un vagabond proscrit qui a rejoint le groupe du faubourg, est assourdi par un coup de fusil pendant la prise des Tuileries.
Il faudrait plus de cinq sens pour appréhender l’entièreté de ce qui se passe : le désir de liberté, d’autonomie, l’inéluctabilité de la violence, bientôt celle de l’élimination du souverain. Quand on arrive sur la place de la Concorde, ce matin d’hiver, on prend la mesure de ce qu’on vient de voir, on comprend ce titre un peu déconcertant : Un peuple et son roi. Ce n’est qu’un premier chapitre, celui de l’apprentissage de l’idée de république, de la sortie de l’enfance d’une nation. Le second chapitre, que l’on espère, serait celui des premiers pas de ce nouveau régime, violents, tragiques, féconds.
UN PEUPLE ET SON ROI - Bande Annonce Officielle (2018)
Durée : 02:04
Film français de Pierre Schoeller. Avec Adèle Haenel, Olivier Gourmet, Noémie Lvovsky, Gaspard Ulliel, Céline Sallette, Louis Garrel, Laurent Lafitte (2 h 01). Sur le Web : www.facebook.com/STUDIOCANAL.FRANCE et salles.studiocanal.fr
Les sorties cinéma de la semaine (mercredi 26 septembre)
- I Feel Good, film français de Benoît Delépine et Gustave Kervern (à ne pas manquer)
- Un peuple et son roi, film français de Pierre Schoeller (à ne pas manquer)
- Libre, documentaire français de Michel Toesca (à voir)
- Rafiki, film français et kényan de Wanuri Kahiu (à voir)
- Le vent tourne, film belge, français et suisse de Bettina Oberli (à voir)
- Bergman, une année dans une vie, documentaire suédois de Jane Magnusson (pourquoi pas)
- L’Ombre d’Emily, film américain de Paul Feig (pourquoi pas)
- La Prophétie de l’horloge, film américain d’Eli Roth (pourquoi pas)
- The Little Stranger, film britannique de Lenny Abrahamson (pourquoi pas)
- Donbass, film ukrainien de Sergei Loznitsa (on peut éviter)
- Hostile, film français de Mathieu Turi (on peut éviter)
A l’affiche également :
- Journal d’un disparu, film français d’Emmanuel Ostrovski et Jospeh Rottner