Le bac chinois, bras armé du pouvoir
Le bac chinois, bras armé du pouvoir
Par Brice Pedroletti (Pékin, correspondant)
Le « gaokao » est un redoutable rituel de passage pour près de 10 millions de jeunes qui aspirent à entrer à l’université. Et un puissant outil de propagande pour le pouvoir du président Xi Jinping.
Ils étaient 9,75 millions, les 7 et 8 juin, à passer le gaokao (« grand concours », en français), l’examen d’accès à l’université en Chine, équivalent du baccalauréat. Avec son complexe calcul de points, il est connu pour le stress qu’il inflige aux lycéens chinois comme à leurs parents, les rituels de préparation, les fortunes dépensées en « boîtes à bac »…
L’édition 2018 est entrée dans « la nouvelle ère » ouverte par le président chinois Xi Jinping lors du 19e Congrès du Parti communiste, en octobre 2017.
Le ministère de l’éducation avait enjoint, dès le mois de mai, d’« avoir pour guide », dans la préparation des épreuves, « la pensée du socialisme aux caractéristiques chinoises pour la nouvelle ère ». Les lycéens ont dû plancher sur le thème « J’ai rendez-vous avec 2035 », la date fixée par Xi Jinping pour la « renaissance chinoise », qui doit faire de la Chine « une nation de premier rang dans l’innovation ». Pour être sûr que le mot d’ordre a été compris, deux autres sujets leur ont été soumis : « Nouvelle ère, nouvelle jeunesse – grandir avec le développement chinois » et « Expliquez pourquoi le Parti communiste doit exercer un rôle de leadership sur l’économie, les forces armées, les écoles et tous les aspects de la société »…
Des enseignants mis à pied
La reprise en main n’est pas que de pure rhétorique. Comme en France, le bac est un passage obligé, et les universités chinoises ne badinent pas avec la sélection. Elles sont concernées au premier chef par le reset idéologique mené par Xi Jinping. Des « Instituts du socialisme aux caractéristiques chinoises pour la nouvelle ère » ont fleuri dans les trois grandes universités pékinoises, l’Université du Peuple, Tsinghua et l’Université de Pékin. Plusieurs enseignants ont été mis à pied, dénoncés par des élèves pour des propos « révisionnistes ».
Les lycéens pas plus que les étudiants n’échappent à cette surveillance. Au gaokao, les meilleures notes ne peuvent être attribuées qu’aux élèves qui régurgitent sans discussion les arguments du « xijinpingisme ». En matière d’Histoire, pas question de dévier de la ligne officielle « positive » et néo-nationaliste, comme le font des universitaires et intellectuels sans cesse soupçonnés de « révisionnisme », comme à la grande époque de Mao. « Critiquer publiquement le gaokao auprès de la presse étrangère pourrait avoir des conséquences très graves pour un enseignant », prévient un professeur chinois interrogé par Le Monde.
Le bac français admiré
Le bac français s’est vu convoqué dans les débats sur la blogosphère chinoise. Les sujets de l’épreuve de philosophie ont reçu les louanges de toute une partie de l’opinion publique – à l’extrémité la plus libérale du spectre politique –, des internautes se félicitant des sujets « abstraits », « philosophiques », « capables d’éveiller le sens critique » et de poser selon eux de véritables questions sur l’époque…
Le Global Times, tabloïd communiste ultranationaliste, a reconnu, le 11 juin, « l’admiration écrasante que suscite le bac français parmi les internautes [chinois] ». Mais c’est pour mieux insister sur les différences avec le gaokao. Pour l’intellectuel Zhang Yiwu, défenseur d’une vision culturelle sino-centrée, « la seule différence est finalement que les sujets français sont bien plus abstraits, tandis que les sujets chinois portent sur des exemples concrets. Ces différences ne peuvent pas être réduites à une question de profondeur ou de superficialité dans l’un et l’autre cas ».
Cette évolution n’est peut-être pas étrangère au nombre croissant de Chinois aisés qui envoient leurs enfants dans des lycées à l’étranger – en particulier aux Etats-Unis – pour leur donner une éducation plus ouverte et leur permettre d’échapper au couperet du gaokao. Même si ce dernier est de plus en plus souvent accepté à l’entrée de grandes universités occidentales. Selon The Economist, une trentaine d’universités canadiennes commencent à recruter des bacheliers chinois sans leur imposer les tests standards du Scholastic Aptitude Test (SAT). En Australie, seule celle de Melbourne s’y refuse encore, considérant que « d’autres critères sont plus à même de prédire le succès dans les études universitaires ». Une « nouvelle ère » pour le gaokao…