Le percussionniste cubain Yuvisney Aguilar au festival Toros y Salsa / Yannick Le Maintec

Samedi 10 septembre à Dax. Yuvisney Aguilar était la principale raison de ma présence. J’avais remarqué le percussionniste cubain l’année précédente aux côtés de la chanteuse Yadira Ferrer. Son premier album Piango Piango, qui avait décroché une nomination aux Latin GRAMMYs, m’avait fait forte impression. Premières notes, silence religieux. Yuvisney entonne un chant mélancolique en hommage aux esclaves venus d’Afrique. Je me retourne, le public est sous le charme. Les mélodies s’enchaînent, aussi entraînantes les unes que les autres. Le concert oscille entre jazz par le piano et afro-cubain par les percussions. Les solos de piano, le sax de Rafael Aguila, invité spécial, m’emportent. La personnalité lumineuse du Cubain ravit. On en parlera tout le week-end : « Du bonheur », « Il m’a fait chanter Salam Alaykoum ! », « C’est un soleil… ». Rencontre avec un percussionniste dont le registre va de Richard Bona à Raul Paz, de Paquito D’Rivera à Orishas.

Un contenu de cette page n'est pas adapté au format mobile, vous pouvez le consulter sur le site web

Bonjour Yuvisney, pourriez-vous me raconter votre initiation aux percussions ?

Ma rencontre avec les percussions est le fruit du hasard. Pour moi tout a commencé avec l’examen d’entrée à l’âge de neuf ans à l’Escuela Vocacional de Arte (« EVA ») à Pinar del Río. À cette époque, je voulais être chanteur mais je ne pouvais y entrer que comme percussionniste. J’ai accepté et ai passé cinq ans à l’école de percussions, sans que ça me passionne plus que ça. Je ne sais vraiment pas comment j’ai réussi à décrocher l’examen ! [rires] Mon premier professeur était Nestor Luis, un grand professeur qui m’a donné une base technique solide qui m’a été très utile toutes ces années.

Pourriez-vous citer les différentes percussions que vous avez utilisées au concert que vous avez donné à Toros y Salsa ?

J’ai joué les trois tambours Batá : Iyà, Itótele et Okónkolo. C’est important de ne pas écrire Batá au pluriel parce que les trois tambours forment un tout et que ce nom signifie famille. J’ai joué aussi des congas (conga y tumbadora) et un instrument d’ambiance faites de graines africaines appelé Ojos de Buey, le shekeré et les timbales.

Les Batá sont connectés à la religion afro-cubaine. Est-ce que vous y avez été initié ?

Les tambours Batá ont été créés par l’ethnie Yoruba qui vient du Nigeria et sont utilisés aux cérémonies religieuses de La Règle d’Osha. Même si je connais la religion, je ne suis pas pratiquant.

J’ai appris à jouer ces tambours fabuleux en travaillant pendant quatre ans comme percussionniste de danse folklorique, ce qui est indispensable pour connaître ces rythmes particuliers. J’ai eu l’honneur d’avoir eu comme professeur le grand Maître Lázaro Pedroso du Conjunto Folclórico Nacional de Cuba.

Je suis définitivement amoureux de cette musique, des frappes et de l’histoire qui entoure ces tambours magiques.

Votre musique sonne différemment du latin jazz qu’on écoute depuis les années 50. Elle semble plus influencée par l’afro-cubain. On pense à Yosvanny Terry ou Pedrito Martinez…

Mon travail est basé sur la musique héritée de nos ancêtres africains.

J’ai toujours senti qu’au-delà du contexte religieux, il y avait un univers rythmique, mélodique et énergétique très puissant qui est perçu par tout le monde, les croyants comme les non-croyants. Tout ce que j’ai fait est de capturer l’énergie qui jaillit de ces rythmes pour les mélanger avec les nouvelles tendances du jazz contemporain.

Il n’y a rien de très nouveau dans tout ça. Dizzie Gillespie a fait la même chose il y a de nombreuses années, et puis Chucho Valdés avec Irakere, le Grupo Afrocuba. Le grand Wynton Marsalys l’a fait récemment, et beaucoup d’autres encore…

La différence réside peut-être dans le fait que j’y ai insufflé ma vision et mon interprétation personnelle.

Vous vous inspirez des traditions Yoruba, Arará, Iyesá y Bantú. Comment les avez-vous intégrées dans votre musique ?

Toutes ces branches proviennent de régions différentes et correspondent à des interprétations différentes, d’autres connexions spirituelles… Tout ce que j’ai fait est de ressentir chaque rythme dans mon corps et de me fondre dedans.

Dans le processus de création, je me laisse envahir par chaque style, pour que le morceau vienne naturellement conformément à l’histoire que je veux raconter. Enfin chaque titre a été habillé avec des harmonies modernes et les solos jazz.

Ce processus est primordial pour que la fusion soit harmonieuse.

Le jazz est très présent dans votre musique grâce au piano. J’ai l’impression que Pepe Rivero a joué un rôle important dans le quartet. Est-ce le cas ?

Après les percussions, mon instrument préféré est le piano assurément.

J’écoute beaucoup plus de piano, solo, classique, que tout autre instrument. Le monde de l’harmonie m’enchante et c’est pour ça que le piano est si important pour moi. Plus que tout, un bon pianiste doit être sensible et polyvalent.

Pepe Rivero est tout ça à la fois. En plus il est fasciné par le monde des percussions. Je lui apporte les rythmes. Il m’apporte l’harmonie.

« Le jazz et la salsa » a interrogé Pépé Rivero sur son travail avec Yuvisney. Le pianiste cubain est le directeur musical de Clazz, le festival de latin jazz de Madrid.

Comment avez-vous connu Yuvisney ?

J’ai connu Yuvisney à Madrid. Nous nous sommes croisés à l’occasion d’une tournée européenne du saxophoniste américain David Murray sur le projet 3D Family.

Quand Paquito D’Rivera avec qui je travaillais comme pianiste depuis huit ans m’a sollicité pour monter un quintet à Madrid qui nécessitait un percussionniste, j’ai tout de suite pensé à Yuvisney. Pour travailler avec Paquito, les qualités humaines sont aussi importantes que les qualités musicales. On est comme une famille.

Avec Yuvi, nous avons une connexion musicale incroyable. Nous avons un projet de duo qui fonctionne déjà très bien sur scène.

Votre musique et celle de Yuvisney sont différentes : percussions afro-cubaines d’une part, piano jazz et classique d’autre part. Qu’est-ce que vous appréciez chez lui ?

À Cuba l’Afrique est très présente dans la religion et dans la culture, disait un de nos grands poètes Nicolas Guillen (« A Cuba qui ne vient pas du Congo vient du Carabalí »). Fondamentalement nous sommes le mélange d’Afrique et d’Espagne.

Ces influences se retrouvent naturellement dans notre culture et en particulier chez les musiciens : la culture européenne et la connaissance des grands compositeurs pour la part espagnole et le rythme pour la part africaine.

La musique de Yuvisney dans Piango Piango possède ces deux éléments. J’ai adhéré dès le moment où il a commencé à rassembler ses idées et j’ai adoré y participer autant en tant pianiste qu’en tant qu’arrangeur.

Toros y Salsa : une édition sous le soleil cubain

Un vent de fraîcheur a soufflé sur la vingt-quatrième édition du festival Toros y Salsa qui s’est déroulée les 7, 8 et 9 septembre à Dax dans les Landes.

Le groupe barcelonais Compota de Manana. / YANNICK LE MAINTEC

Dès vendredi soir, les Cubains déclenchaient les hostilités avec deux formations, la première originaire de Santiago, le Colectivo Iye Ife, la seconde de la Havane, Los Jovenes Clasicos del Son, pour un vaste panorama de la musique traditionnelle. Une mise en bouche sans emphase mais toute en saveur, appréciée à sa juste valeur par un public connaisseur.

Samedi 20 heures : premier spectacle, première claque. En un morceau, le percussionniste Yuvisney Aguilar et son Afro-Cuban Jazz Quartet, ont embarqué le public dans leur univers de percussions et de jazz. Du jazz pour la tête, du jazz pour les pieds. Le charisme du jeune Cubain et ses jolies mélodies ont remporté un franc succès auprès du public dacquois.

23 heures, le parrain du festival, Gerardo Rosales a rendu hommage à Grupo Mango. Moises « Ajoporro » Daubeterre, le chanteur de la formation vénézuélienne célèbre dans les années 70 a pimenté une formule qui a fini par s’émousser au fil des passages répétés. Le conguéro n’a toutefois pas son pareil pour orchestrer les descargas, les fameuses jam-sessions qui font la réputation du festival.

1 heure du mat. La machine de guerre Mercadonegro (Ils ont enflammé trois heures durant Tempo Latino avec José Alberto « El Canario ») avait invité Herman Olivera. De Conjunto Libre à Eddie Palmieri, de Jimmy Bosch au Spanish Harlem Orchestra, le répertoire du gentleman sonero est immense. Une leçon, -que dis-je, une démonstration !- d’histoire de la salsa…

Dimanche, fin de festival. La veille, Mercadonegro a rendu les armes à 3 heures du matin. On est rincé. Au programme : Compota de Manana, de Barcelone... inconnu au bataillon, le groupe qui n’existe pas ! Autant dire que c’était plié. 20 heures, des riffs de cuivres, guitare électrique entre funk et rock, un chanteur en survet à fleurs aux tambours Batà. De la timba à Dax, la bonne blague ! (Le festival est réputé pour sa salsa beaucoup plus traditionnelle) Les gars mettent le feu à une audience éberluée immédiatement emballée. La dernière surprise de François Charpentier en aura laissé sans voix plus d’un.

CD : Yuvisney Aguilar - Piango Piango (2017, Rumor Records)