Après la démission du ministre de l’intérieur Gérard Collomb, Nicolas Chapuis, journaliste chargé de la rubrique police au service Société du « Monde » a répondu aux questions des internautes.

Zellie Chatelier : Pourquoi Emmanuel Macron a-t-il refusé sa démission à plusieurs reprises ?

Le chef de l’Etat ne voulait pas se faire dicter son agenda et voulait surtout éviter de donner l’impression de réagir sous la pression. Après la démission de Nicolas Hulot au retour des vacances, Emmanuel Macron voulait éviter la perte d’un deuxième ministre d’Etat. Il savait que cela serait interprété comme le signe d’une crise profonde au sommet de l’Etat. A raison.

Romanin : La démission de Gérard Collomb est-elle une conséquence même indirecte de l’affaire Benalla ?

L’affaire Benalla a clairement abîmé la relation qui existait entre les deux hommes. Plutôt que de jouer le rôle de rempart, Gérard Collomb a choisi pendant les auditions de se déporter, d’affirmer qu’il n’avait été mis au courant de rien. L’épisode a participé à la décomposition gouvernementale actuelle.

AndyNmr : Est-ce légal qu’un maire quitte son poste en vue de le céder à une personnalité politique ?

Cette manœuvre est tout à fait légale. Gérard Collomb, réélu maire de Lyon en 2014, avait cédé son poste à son suppléant quand il est devenu ministre, en 2017. Il a tout à fait le droit de le reprendre en quittant ses fonctions au gouvernement.

Eugène Varlin : Je n’ai rien compris à cet épisode. Je croyais que Collomb devait démissionner après les européennes de 2019 ? Qu’est-ce qui l’a amené à accélérer sa décision ?

Vous n’êtes pas le seul à n’avoir rien compris, et l’épisode assez unique que nous venons de vivre garde une grande part de mystère. Gérard Collomb voulait à tout prix se présenter à sa propre succession à Lyon. C’était un secret de polichinelle. Tout le monde l’interrogeait sans cesse sur le moment où il lâcherait le manche du ministère. Pour couper court aux spéculations, il a jugé bon dans son interview à L’Express il y a deux semaines d’annoncer un calendrier, avec un départ en juin. A partir de là, tout s’est accéléré, car de nombreux acteurs de la sécurité (policiers, gendarmes, notamment) ont commencé à juger que la situation n’était pas tenable. Un ministre sur le départ n’a pas les moyens d’enclencher des réformes. Politiquement, c’était également compliqué. Cela créait un angle d’attaque pour l’opposition trop évident. Enfin, Gérard Collomb s’est rendu compte ce week-end, après un meeting raté à Villeurbanne (Rhône), que la bataille était loin d’être gagnée à Lyon, et qu’il fallait qu’il sorte de cette ambiguïté au plus vite.

Jean Fort : Pensez-vous qu’il soit possible que la démission de M. Collomb entraîne un remaniement global ? Y a-t-il des réactions de la part des syndicats de police et autres fonctionnaires de l’intérieur ?

L’hypothèse d’un remaniement d’ampleur est plausible, mais je ne vais pas me lancer dans des conjectures. C’est in fine la décision d’Emmanuel Macron, je ne sais même pas si elle est définitivement arrêtée, et je ne suis pas dans son bureau.

Les syndicats de police ont réagi. Ils sont globalement très remontés contre Collomb et jugent qu’il y a abandon de poste. Yves Lefebvre, le patron d’Unité SGP Police-FO, l’un des deux principaux syndicats de gardiens de la paix, déclarait hier : « Sa décision est une marque de défiance à l’égard des gardiens de la paix. Quand on est le premier flic de France, il faut avoir la même passion pour le métier que ceux qui sur le terrain se prennent des pavés dans la gueule tous les jours. » Quant à la haute hiérarchie policière, elle se tient à son devoir de réserve, mais il ne faut pas être grand clerc pour lire une critique dans le tweet d’Eric Morvan, le directeur général de la police nationale, ce matin : « Les policiers restent mobilisés, en toutes circonstances, avec un sens élevé de l’Etat et de leur mission. Gratitude immense pour les femmes et les hommes de la police judiciaire qui, loin du bruit, ont arrêté Redoine Faïd, pour la force du droit et le respect des victimes. »

PML : Edouard Philippe reprend la casquette de Gérard Collomb. Macron n’a personne d’autre pour le poste ?

Pour éviter les critiques sur une vacance du pouvoir Place Beauvau, le chef de l’Etat a confié l’intérim à Edouard Philippe. Dans ce ministère très exposé, chaque minute sans ministre peut être préjudiciable. Imaginez les conséquences si un attentat survenait alors qu’il n’y a pas de ministre en place… En revanche, rien ne les obligeait à mettre en scène cette passation de pouvoir très étrange avec un Gérard Collomb contraint de patienter pendant vingt minutes sur le perron en attendant le premier ministre, un Edouard Philippe de marbre pendant tout le discours, tous les gradés des forces de l’ordre présents, etc. Cette « cérémonie » surréaliste aura surtout laissé le sentiment d’un grand flottement à la tête de l’Etat.

Ours : On parle de la mairie de Lyon avec la démission de Georges Képénékian, mais quid de la présidence de la Métropole de Lyon, bien plus importante et que Collomb avait également abandonnée ?

On peut estimer en effet que ça fait partie de ses objectifs. Il a répondu ceci dans son interview au Figaro, hier soir, à la question de savoir s’il choisirait la ville ou la métropole :

« Je mènerai partout des listes. Mais comme vous le savez, ce sera d’abord le choix des habitants de la Métropole de Lyon. Le moment venu, avec celles et ceux qui auront été élus, nous déciderons ensemble. Ce qui m’importe, c’est qu’il y ait une unité de pensée entre la Métropole et la ville de Lyon, car c’est comme cela qu’au cours de ces dernières années nous avons construit une agglomération où dynamiques économique, sociale et environnementale se conjuguent. »

Adinaieros : En dix-huit mois, ce gouvernement est déjà particulièrement remanié. Les européennes étant souvent cruelles pour le gouvernement en place, est-ce que cela ne complique pas le probable remaniement de Macron après les élections ?

Quand on regarde dans le rétroviseur, les mouvements au gouvernement sont nombreux et importants. Emmanuel Macron voulait rompre avec l’impression laissée par Hollande d’une cacophonie. Du point de vue de la continuité gouvernementale, c’est raté. Cela pose aussi la question de l’entourage de M. Macron. Combien de poids lourds lui reste-t-il ? La campagne des européennes se complique très clairement pour La République en marche.

馬先生 : Comment est jugé le bilan de l’action de Gérard Collomb en tant que ministre ?

Il laisse un bilan très mitigé. Du côté des forces de l’ordre, l’impression générale est qu’il n’a pas vraiment lancé de chantier structurel important. La police de sécurité du quotidien (son totem) ne produit encore aucun effet sur le terrain. Son succès repose sur l’engagement de nouveaux effectifs d’ici à la fin du quinquennat. Or, rien ne dit que son successeur voudra reprendre à son compte l’ensemble du projet. Il devait également présenter un « plan stup’» d’ici à la fin de l’année, dont l’avenir est désormais incertain. Enfin, des réformes techniques sont engagées avec la fusion des directions des achats et du numérique entre la police et la gendarmerie. Le processus devrait se poursuivre. Sur le terrain, il laisse l’image d’un ministre pragmatique, mais davantage intéressé par sa ville de Lyon que par son job à Beauvau.

Sur le volet asile et immigration, il a fait voter une loi, qui a provoqué un début de rupture au sein du groupe parlementaire de La République en marche. Sur le volet terroriste, le vote de la loi de sécurité intérieure et de lutte contre le terrorisme a fait entrer une partie des dispositions de l’état d’urgence dans le droit commun. Quant au volet « islam », pas grand-chose n’a été fait. Mais le dossier est davantage géré par l’Elysée.