Emmanuel Macron, lors du 60e anniversaire de la Constitution, à Colombey-les-Deux-Eglises, jeudi 4 octobre. / Cyril Bitton/French-Politics pour "Le Monde"

La brume a tardé à se lever sur les vallons de la Haute-Marne, jeudi 4 octobre, mais le soleil brille franchement maintenant, et fait apparaître la croix de Lorraine au-dessus de Colombey-les-Deux-Eglises. Les frères Bablon, Luc et Philippe, deux jumeaux âgés de 65 ans, patientent derrière une barricade en face du cimetière, où Emmanuel Macron est attendu pour déposer une gerbe sur la tombe du général de Gaulle.

« Je suis là pour la naissance de la Ve République », soixante ans jour pour jour après l’adoption de la Constitution par référendum, explique Luc. Le chef de l’Etat aussi. Il a écrit un message, un peu plus tôt, sur le livre d’or de la Boisserie, l’ancienne résidence de l’homme du 18-Juin et de son épouse Yvonne : « Se recueillir sur la tombe du général, c’est venir puiser dans les racines de notre République une sève qui continue de vivifier notre pays ».

« Ce ne serait pas arrivé avec de Gaulle »

Se mettre sur les traces de son illustre prédécesseur, c’est aussi une occasion de tenter de revivifier une rentrée assombrie par les démissions du gouvernement de Gérard Collomb et Nicolas Hulot. Des bravades qui ont jeté le doute sur l’autorité d’un président de la République en dégringolade dans les sondages.

« Il faudrait qu’il imite l’exemplarité du général, le respect qu’il suscitait, lâche Philippe. Il y en a un qui lui a fait un doigt d’honneur sur une photo [sur l’île de Saint-Martin], mais dans quel monde on est ? Ce ne serait pas arrivé avec de Gaulle, Nicolas Sarkozy ou même François Hollande. On laisse tout faire aux jeunes. »

La « présidentialité » est une matière fragile… Même quand on pose, comme l’a fait Emmanuel Macron, au côté des Mémoires de guerre du général pour sa photo officielle. Ou que l’on fait ajouter une croix de Lorraine au logo de l’Elysée.

Emmanuel Macron, lors du 60e anniversaire de la Constitution, à Colombey-les-Deux-Eglises, jeudi 4 octobre. / Cyril Bitton/French-Politics pour "Le Monde"

Force des « institutions »

Philippe et son frère dégainent leurs téléphones portables : « il » arrive. Une cohorte de gaullistes plus ou moins officiels s’inscrit dans le sillage du chef de l’Etat. Parmi eux, les anciens présidents du Conseil constitutionnel, Pierre Mazeaud et Jean-Louis Debré, le président de la fondation Charles de Gaulle, Jacques Godfrain, l’ancien ministre de Jacques Chirac, Hervé Gaymard, préfacier de plusieurs rééditions des ouvrages du général…

« La Constitution de la Ve, c’est une sorte de minerve, elle tient quand ça va mal », sourit ce dernier. « Les institutions de la Ve ont assuré la continuité de l’Etat à travers huit présidents de la République, des crises, des cohabitations, des alternances », appuie Jean-Louis Debré. Et des « péripéties », aurait pu ajouter Emmanuel Macron, qui a qualifié ainsi le camouflet infligé par Gérard Collomb.

Interrogé une nouvelle fois à ce sujet par la presse alors qu’il serrait les mains des badauds à la sortie du cimetière, le locataire de l’Elysée a opposé face à cette crise la force des « institutions ». Il devait prononcer un discours à ce sujet dans l’après-midi au siège du Conseil constitutionnel, à Paris. « Il faut avoir un peu de hauteur et de recul historique, lance M. Macron. Je ne dévie pas et je ne m’arrête pas, ou alors vous n’avez pas compris qui j’étais. »

Le voilà d’ailleurs en train de répondre à la cantonade à des questions posées par quelques têtes blanches sur la réforme des retraites qu’il entend mener ces prochains mois. « Ce système n’est pas juste, c’est pour ça que je veux en faire un nouveau. Il y en a qui vont râler, car ils touchent plus avec le système actuel », assume Emmanuel Macron.

Qui cite une phrase du général de Gaulle, rapportée à son intention par son petit-fils : « Vous pouvez parler très librement, la seule chose [qu’on n’a] pas le droit de faire, c’est de se plaindre ». « Je trouve que c’est une bonne pratique. Le pays se tiendrait autrement s’il était comme ça », sourit le président de la République. Et d’ajouter : « C’était plus dur en 1958, on ne se rend pas compte de la chance qu’on a. » Une sentence qui peut avoir, dans son cas, valeur d’encouragement.