« Le débat est entièrement confisqué par les pro et les anti-nucléaire. » A quelques semaines de la publication par le gouvernement de la programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE 2019-2028), le directeur général adjoint d’Engie s’est fait, lundi 8 octobre, l’écho des inquiétudes de la filière gazière. Didier Holleaux estime en effet qu’en l’état actuel, la feuille de route de l’énergie pour les périodes 2019-2023 et 2024-2028 fait la part trop belle à l’électricité et minimise le rôle du gaz, notamment renouvelable. Il juge même qu’elle risque de retenir des options « néfastes et irréalistes » pour le futur mix énergétique du pays.

Dans le cadre de sa stratégie « bas carbone », la France envisage de parvenir à zéro émissions de CO2 en 2050 dans le secteur de l’énergie, et la PPE est un outil essentiel pour suivre cette trajectoire. Ce texte fixera notamment l’horizon où la part d’électricité d’origine nucléaire tombera à 50 %, probablement entre 2030 et 2035, et non plus en 2025 comme le prévoyait la loi de transition énergétique de 2015.

Mais pour les dirigeants d’Engie et de ses filiales GRT Gaz (transport) et GRDF (distribution), les scénarios qui circulent sont « tout électrique », « tout nucléaire », ou à « très forte proportion de nucléaire ».

Affirmer le principe de complémentarité

Pour Engie, cette programmation doit affirmer le principe de complémentarité des énergies faisant une place à l’éolien flottant et au gaz vert produit par méthanisation (déchets agricoles) ou à partir des surplus d’électricité (« power to gas »). « On peut atteindre l’objectif de 10 % de gaz renouvelable injecté dans le réseau dès 2028 [contre 0,5 %] », estime M. Holleaux. La ressource est là, qu’elle soit agricole ou forestière. Mais pour la valoriser, il faudrait « un engagement clair des pouvoirs publics » à travers des tarifs de rachat ou d’appels d’offres dédiés au gaz vert.

La France est très en retard sur l’Allemagne, qui a développé une vraie filière avec des cultures dédiées au biogaz, mais aussi sur l’Italie et le Royaume-Uni. Trois pays qui assurent à eux seuls 80 % de la production européenne.

M. Holleaux estime que l’objectif de 10 % en 2028 peut être atteint à un coût raisonnable pour la collectivité, qui a déjà puissamment soutenu l’éolien puis le solaire photovoltaïque : 1,5 milliard d’euros d’aides publiques par an, le prix du MWh tombant de 96 euros aujourd’hui à 60 euros dans dix ans.

Lors du débat public sur la PPE, au printemps, le biogaz a été plébiscité parce qu’il est propre, générateur d’emplois locaux et intégré à l’économie circulaire. Son ingénierie et ses technologies sont très bien maîtrisées en France et ne risquent pas d’être captées par la Chine, comme cela a été le cas de la filière photovoltaïque il y a une dizaine d’années.

« Décarboner avant d’électrifier »

Pour les dirigeants d’Engie, le gouvernement se trompe de priorités. Il faut « décarboner avant d’électrifier », souligne M. Holleaux.

L’exemple du chauffage électrique, plus développé en France qu’ailleurs, est à ses yeux très parlant. C’est lui qui, lors des pointes de consommation d’hiver, pompe le plus d’électricité et fait courir un risque de black out sur le réseau. Les éoliennes et les panneaux solaires sont alors peu productifs, et EDF doit mobiliser des centrales thermiques ou importer du courant d’Allemagne, où tournent alors des centrales au charbon et au lignite très émettrices de gaz carbonique.

Engie reproche encore à la PPE de ne pas mettre suffisamment l’accent sur l’efficacité énergétique ou le développement de réseaux de froid et de chaleur, deux secteurs dont le groupe est un leader mondial. Il estime que les pouvoirs publics l’ont « insuffisamment associé à l’élaboration de la PPE ». Et juge, selon M. Holleaux, qu’il ne reçoit encore que des « réponses standards ».

Une fois rendue publique, la programmation énergétique sera soumise au Parlement, ne serait-ce que pour revoir le calendrier de baisse du nucléaire. La filière a encore quelques mois pour défendre sa position.