Jair Bolsonaro, à Rio de Janeiro, dimanche 7 octobre 2018. / PILAR OLIVARES / REUTERS

Misogyne, raciste, homophobe et nostalgique de la dictature, Jair Bolsonaro a récolté, dimanche 7 octobre, 46 % des voix au premier tour de la présidentielle, profitant de la crise morale et politique qui secoue le Brésil. Ce vent de « dégagisme » d’une puissance inouïe a provoqué une onde de choc dans le pays. Claire Gatinois, correspondante du Monde, a répondu à des internautes.

Samy : Est-il juste de dire que Bolsonaro est d’extrême droite ? Fasciste ?

Claire Gatinois : Oui, il est correct de dire que Jair Bolsonaro est d’extrême droite. Il n’est pas seulement conservateur. Il est connu pour ses allusions racistes, homophobes et misogynes. Surtout, c’est un véritable nostalgique de la dictature [1964-1985]. Lors d’un entretien à TV Globo, il a parlé du coup d’Etat de 1964 comme d’une « révolution démocratique ».

Alexis : Concrètement quelles sont les grandes lignes de son programme ? Et peut-il les mettre en place ?

Le programme de Jair Bolsonaro est assez vague. Il évoque la restauration des « valeurs » de Dieu, de la famille etc., mais il n’est pas très concret quant aux mesures qu’il compte mettre en place. Son discours est essentiellement axé sur la sécurité. Il compte revenir sur la loi de « l’estatuto do desarmamento » qui, en 2003, a mis fin au libre port d’arme. Il compte aussi amnistier les crimes des policiers et mettre fin aux aménagements de peine. Cette dernière mesure, au-delà d’être polémique, est compliquée à mettre en place, car le pays souffre déjà d’un problème de surpopulation carcérale estimée à 197 %.

En économie, Jair Bolsonaro promet le « libéralisme » des emplois, la prospérité et attaque les gouvernements socialistes, jugés responsables de la situation dramatique du pays. Son programme n’est pas davantage détaillé mais son conseiller Paulo Guedes, un « Chicago boy » très apprécié des marchés financiers, parle de privatisations massives afin d’éponger rapidement la dette publique.

La mise en œuvre d’un tel programme est problématique dans un pays comme le Brésil, avec un système dit de « présidentialisme de coalition ». Le président gouverne avec un Congrès composé de partis très divers et versatiles. C’est un sujet critique pour Bolsonaro. Mais l’élection a montré que le Congrès serait en partie composé d’alliés.

JFCO : Quels sont les grands axes du programme de Haddad ?

Fernando Haddad s’est affiché contre la privatisation d’entreprises « stratégiques », et a remis à plus tard la réforme des retraites (sujet explosif socialement qu’aucun candidat n’ose aborder frontalement). Il compte mener une politique sociale de soutien aux plus pauvres, à l’image de ce qui a été fait sous le gouvernement Lula. Il pense que l’insécurité sera combattue par une politique de lutte contre les inégalités et que le déficit sera épongé avec le retour de la croissance.

Nat : A-t-on des statistiques précises sur la sociologie des votants ?

On sait que le sud et le sud-est du pays ont voté massivement pour Bolsonaro, quand le Nordeste reste acquis à la gauche (au PT et au PDT). Les précédents sondages laissent penser que l’électeur de Bolsonaro possède un niveau d’éducation correct, de bons revenus et est en majorité masculin.

JPG : Y a-t-il des appels à voter pour l’un des deux qualifiés de la part des candidats éliminés ?

Ciro Gomes, du PDT (centre gauche), s’est immédiatement rallié à Fernando Haddad (PT), même si Katia Abrieu, qui faisait campagne aux côtés de Ciro Gomes pour la vice-présidence, a déclaré hier « n’avoir pas le courage » de choisir entre les deux candidats. Marina Silva, l’écologiste ex-ministre de Lula, s’est quant à elle déclarée dans l’opposition. Enfin, Geraldo Alckmin, le représentant de la droite, prendra sa décision mardi à l’issue d’une réunion avec les cadres de son parti, le PSDB.

Canal75019 : Le PT n’est-il pas le principal responsable de ce résultat ?

Oui, le PT est en partie responsable. Il a gouverné pendant douze ans, le pays avait soif d’alternance. Et le PT est jugé en grande partie responsable de la crise économique. A cela s’ajoutent les scandales de corruption et l’acharnement de Lula à contester les décisions judiciaires — certes questionnables. Tout cela n’a fait qu’accentuer le sentiment anti-PT, qui a servi de carburant à Jair Bolsonaro.

Mais le PT n’est pas le seul responsable de la montée de l’extrême droite. Les scandales de corruption touchent tous les partis, et le désastre du gouvernement de Michel Temer a provoqué un ras-le-bol généralisé. Les électeurs ont, avec Bolsonaro, exprimé un vote de protestation, « saco cheio », dit-on ici.

Peloao : On a l’impression que pour une bonne partie de la population, la période de la dictature a été oubliée (ou qu’il en existe une nostalgie). Comment est-ce possible ?

La dictature est vue, par une partie des Brésiliens, comme une période de prospérité économique. Le régime militaire a mené une politique de grands travaux (désastreuse d’ailleurs pour l’environnement) qui s’est accompagnée d’un boom économique. Pour ceux qui n’étaient pas dans la résistance, la dictature militaire est aussi idéalisée comme une époque où régnait l’ordre. Certains Brésiliens pensent que seuls les militaires et la fermeté pourraient venir à bout de l’insécurité inouïe que connaît le pays. Enfin, il y a cette idée, totalement fausse, que la corruption n’existait pas du temps du régime militaire.

Locrie : Un débat est-il prévu entre les deux candidats ?

Oui, des débats sont prévus. Et cela devrait desservir Jair Bolsonaro. Le militaire de réserve a échappé aux confrontations lors du premier tour du fait de son agression au couteau, le 6 septembre. Il a, en plus, été épargné par des adversaires qui pouvaient difficilement attaquer un homme qui est resté entre la vie et la mort pendant plusieurs jours. Mais la trêve est finie.

Et Jair Bolsonaro est réputé pour son agressivité et son incapacité à supporter la contradiction. Il n’a aucun bagage en économie et se défausse régulièrement sur son conseiller Paulo Guedes, qu’il n’hésite pas ensuite à contredire. Fernando Haddad, mesuré et technicien, pourrait alors gagner quelques points.

Renée : En cas de victoire de Bolsonaro, quelles seraient ses marges de manœuvre pour diriger le pays ? Un contre-pouvoir pourra-t-il exister ?

Un contre-pouvoir peut exister. Le système de « présidentialisme de coalition » oblige le président à composer avec le Congrès. Mais au regard des premiers résultats, le Congrès devrait être ultraconservateur. Et donc acquis à Bolsonaro.

Jovan : Bonjour. Lula aurait-il plus de chances de gagner contre Bolsonaro?

Même après son emprisonnement, Lula prétendait se présenter. Il était à l’époque crédité de 39 % des voix, largement devant Bolsonaro. Après l’invalidation de sa candidature, une partie de son électorat a migré vers Bolsonaro. Au-delà de ses idées, c’est le personnage de Lula et ce qu’il représente (la période de prospérité économique) qui séduisent les électeurs. Mais il faudrait refaire un sondage aujourd’hui pour voir quels seraient les électeurs encore fidèles à l’ex-chef d’Etat. Haddad, lui, était inconnu du grand public avant d’être adoubé par Lula. Il a mené une campagne dans l’ombre de l’ex-chef de l’Etat pour récupérer son capital politique. Lula continue de le conseiller. Mais Haddad a ses propres idées et est d’ailleurs en opposition frontale avec l’aile plus radicale du PT. L’avenir dira s’il arrive à s’émanciper

Lulaland : Est-ce un potentiel pas vers une nouvelle dictature ? Quelles sont les potentielles répercussions sur les échanges franco-brésiliens ?

Une dictature me semble improbable. La démocratie brésilienne est jeune mais les institutions sont présentes et des contre-pouvoirs existent. Et il est trop tôt pour imaginer les répercussions sur les échanges internationaux. A priori, le conseiller économique de Bolsonaro n’est pas protectionniste, mais restera-t-il à bord ? Mystère. Une chose est sûre, la préoccupation écologique n’existe absolument pas dans le programme de Jair Bolsonaro.

Elsie : La criminalité est-elle si forte au Brésil que cela puisse donner envie à une partie de la population de rétablir un régime autoritaire ?

La criminalité est inouïe. Dans des villes comme Rio, les faits divers s’accumulent, parlant de balles perdues tuant des enfants. Les milices et les gangs gangrènent les zones populaires. Les policiers sont souvent corrompus, les trafiquants font la loi et l’Etat est absent. Certains ont donc envie de taper du poing sur la table, pensant que l’autorité serait la solution.

Antonio : Jair Bolsonaro est-il sûr de gagner l’élection ?

Il faudrait vraiment un miracle pour que Fernando Haddad renverse la situation. Depuis le retour à la démocratie du pays en 1989, jamais un candidat en tête au premier tour n’a perdu. Et l’avance de Jair Bolsonaro est importante.