Marjan Minnesma, la directrice de l’ONG néerlandaise Urgenda, célébrant sa victoire, le 9 octobre 2018, à La Haye. / Peter Dejong / AP

L’Etat néerlandais a désormais l’obligation légale de prendre des mesures pour protéger ses citoyens contre les conséquences du changement climatique. Mardi 9 octobre, la cour d’appel de La Haye a confirmé un jugement rendu en première instance, le 24 juin 2015, ordonnant au gouvernement néerlandais de réduire les émissions de gaz à effet de serre (GES) du pays plus rapidement que prévu.

La juridiction a affirmé que l’Etat agissait « illégalement et en violation du devoir de diligence » sans prononcer de sanction contre lui. D’ici à la fin de l’année 2020, les émissions de CO2 néerlandaises devront être inférieures d’au moins 25 % au niveau qu’elles avaient atteint en 1990, afin de protéger sur le long terme la vie des populations néerlandaises et du reste du monde, une obligation consacrée par la Convention européenne des droits de l’homme.

« Compte tenu des grands dangers qui risquent de se produire, des mesures plus ambitieuses doivent être prises à court terme pour réduire les émissions de gaz à effet de serre afin de protéger la vie et la vie familiale des citoyens néerlandais », a déclaré la cour dans un communiqué. Pour Marie-Anne Tan-de Sonnaville, la juge qui présidait l’audience : « Tout report des réductions d’émissions exacerbe les risques liés au changement climatique. Le gouvernement néerlandais ne peut pas se cacher derrière les émissions d’autres pays. Il a le devoir indépendant de réduire les émissions de son propre territoire. »

« Le gouvernement doit se mettre au travail »

Cette décision marque une nouvelle victoire de l’organisation environnementale néerlandaise Urgenda. Cette ONG a engagé le recours au nom de 886 citoyens néerlandais dans le cadre d’une action de groupe. En juin 2015, un tribunal de district avait donné partiellement raison aux plaignants en demandant au gouvernement néerlandais alors en exercice de « faire plus » en matière climatique.

Ce gouvernement – qui avait fait appel en septembre 2015 – a depuis été remplacé. Celui aujourd’hui en fonctions – qui peut encore contester devant la Cour suprême la décision prise mardi par la cour d’appel – a fait savoir qu’il s’y conformerait, estimant que l’objectif pour 2020 « peut être atteint ». « L’incertitude concernant l’objectif pour 2020 est très grande, a néanmoins déclaré la cour d’appel, mardi. Il y a un risque évident que la réduction n’atteigne pas l’objectif de 25 %, ce qui est inacceptable ». « Une baisse de 25 % d’ici à 2020 n’est que le minimum ! Le gouvernement doit se mettre au travail », a renchéri Urgenda sur Twitter, après le prononcé du jugement. En 2017, les émissions de GES des Pays-Bas, un des pays les plus pollueurs de l’Union européenne, n’ont été inférieures au niveau de 1990 que de 13 %.

Ce jugement historique de la cour d’appel de La Haye intervient au lendemain de la parution du rapport spécial du GIEC sur la nécessité d’agir d’urgence en matière de climat. Le document souligne que les températures moyennes progresseront probablement jusqu’au seuil critique de 1,5 °C, entre 2030 et 2052, si le changement climatique continue au même rythme et que les Etats ne prennent pas des mesures « rapides » et « sans précédent ».

894 actions judiciaires en cours dans le monde

En mai, le gouvernement néerlandais a annoncé son intention de fermer les deux plus anciennes centrales à charbon du pays d’ici à 2025. Les trois autres centrales qui produisent de l’électricité grâce au charbon devront également fermer d’ici à 2030. Fin juin, en effet, sept formations politiques représentant une large majorité au Parlement néerlandais ont conclu autour d’une proposition de loi l’accord le plus ambitieux jamais exposé par un pays en matière climatique.

Inspiré par les Verts (GroenLinks) et le parti social-démocrate (PvdA), et soutenu par les partis de gauche et de droite, ce texte prévoit une réduction des émissions de gaz à effet de serre de 49 % d’ici à 2030 par rapport à 1990, et de 95 % d’ici à 2050 par rapport à 1990, ainsi qu’un objectif de production de 100 % d’électricité neutre en carbone en 2050. Le gouvernement néerlandais devra présenter tous les cinq ans un plan climat détaillant les principaux thèmes de politique climatique pour les années suivantes, et les mesures nécessaires pour tendre vers les objectifs. Ce plan sera évalué, voire révisé, tous les deux ans, et une journée nationale du climat sera célébrée tous les quatrièmes jeudis d’octobre.

Le Royaume-Uni, le Danemark, la Finlande, la France – avec sa loi du 17 août 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte, la Norvège et la Suède, ainsi que le Mexique, ont légiféré sur le climat avant les Pays-Bas. Cette tendance est à mettre en parallèle avec la multiplication des contentieux dans ce domaine. En mars 2017, un rapport publié par le Programme des Nations unies pour l’environnement a recensé 894 actions judiciaires en cours dans le monde.

A partir du 29 octobre, « Juliana v. US » (Juliana contre Etats-Unis), un autre procès emblématique des questions climatiques, doit s’ouvrir aux Etats-Unis. En 2015, 21 enfants et adolescents, aujourd’hui âgés de 10 à 21 ans et majoritairement résidents dans l’Oregon, ont attaqué le gouvernement fédéral avec le soutien de l’ONG Our Children’s Trust. Ils s’estiment victimes de discrimination au profit des « intérêts économiques » d’un « autre groupe de citoyens » : les industriels exploitant des énergies fossiles. Mais le gouvernement fédéral a tenté une énième manœuvre dilatoire, le 5 octobre. Ses avocats ont déposé une requête devant le tribunal fédéral d’Eugene (Oregon) demandant un sursis en attendant l’examen de l’affaire par la Cour suprême des Etats-Unis.