L’ancien chargé de mission de l’Elysée, Alexandre Benalla, lors de son audition au Sénat le 19 septembre. / THIBAULT CAMUS / AP

Devant la commission d’enquête parlementaire sur l’affaire Alexandre Benalla, dont la dernière audition s’est tenue mercredi 10 octobre au Sénat, les protagonistes ont témoigné sous serment, en jurant de dire « toute la vérité, rien que la vérité ». Des contradictions sont pourtant apparues au fil des semaines dans le propos de certains d’entre eux, laissant planer le doute sur leur sincérité. Que risquent-ils s’ils ont menti aux députés ?

Dans le droit anglo-saxon, le parjure est un délit qui consiste à mentir ou à produire un faux témoignage par écrit, sous serment, notamment devant un tribunal. En France, le délit de parjure n’existe pas. Sa création avait été évoquée en 2013 après l’affaire Cahuzac, et une proposition de loi avait été déposée en ce sens à l’Assemblée nationale. Mais l’idée n’a pas été retenue au motif que la loi sur le faux témoignage « fait sous serment devant toute juridiction ou devant un officier de police judiciaire » existe déjà, et qu’il suffisait donc de l’appliquer aux témoignages prononcés devant l’Assemblée nationale ou le Sénat.

Jusqu’à présent, seule une personne a été condamnée pour faux témoignage devant des parlementaires : le pneumologue Michel Aubier, condamné en première instance en 2017 à six mois de prison avec sursis et 50 000 euros d’amende pour avoir menti sur ses liens avec le groupe Total. Malgré les contradictions chez certains témoins dans l’affaire Benalla, les parlementaires de la commission d’enquête ne devraient pas pointer d’éventuels faux témoignages dans leur rapport, selon les informations du Monde.

Le président émérite de l’Association française de droit constitutionnel, Didier Maus, détaille les raisons pour lesquelles les accusations de faux témoignage devant des parlementaires sont si rares en France.

Que risque-t-on si l’on ment sous serment devant une commission d’enquête parlementaire ?

Quand on prête serment, on doit dire la vérité. Le délit de « faux témoignage » est passible de cinq ans de prison et 75 000 euros d’amende.

Pour qu’une condamnation soit prononcée, le président de la commission d’enquête doit d’abord acquérir la conviction que la personne entendue a menti, soit parce que des éléments de son propos sont en contradiction évidente avec la réalité, soit par omission. Le président du Sénat doit ensuite saisir le procureur de la République, lequel appréciera s’il faut ouvrir une enquête ou non.

Jusqu’ici, seul le pneumologue Michel Aubier a été condamné pour faux témoignage devant des parlementaires. Est-ce le signe d’un dysfonctionnement ?

Il faut être très prudent. Cette première condamnation est très importante sur le plan symbolique. On ne peut pas dire que la procédure ne fonctionne pas, puisqu’elle a déjà fonctionné. Elle peut de nouveau être actionnée, à condition qu’il y ait matière à…

Les accusations d’omission ou de faux témoignage doivent reposer sur des éléments substantiels. Dans l’affaire Benalla, un certain nombre de personnes arriveront à relever des contradictions lors des auditions. Mais une contradiction suffit-elle à dire qu’il s’agit d’un faux témoignage ? Ce n’est pas évident. La mémoire peut être défaillante.

D’autres éléments expliquent-ils le fait qu’il n’y ait pas eu d’autres condamnations ?

Oui. D’abord, parce qu’une commission d’enquête n’est pas une instruction judiciaire. On cherche à comprendre une situation, les procédures liées à des politiques publiques ou à des événements, mais on ne cherche pas à déterminer des responsabilités individuelles pénales. C’est une différence fondamentale.

Contrairement à une instruction judiciaire, il n’y a pas non plus de confrontation, même si rien ne l’interdit. Cela peut parfois donner lieu à des auditions un peu surréalistes, où un propos étonnant ne fera pas l’objet d’une relance pour autant.

Le fait que les auditions soient publiques joue également un rôle. Nous ne sommes pas dans le secret du cabinet d’un juge d’instruction. Les parlementaires réfléchissent donc à deux fois avant de s’exposer en prenant la parole. Enfin, une commission d’enquête agit et fonctionne dans un milieu politique, où l’opposition est présente. Cela conduit certains parlementaires à s’autocensurer ou à ne pas pousser les personnes auditionnées dans leurs retranchements si cela peut nuire à leur intérêt politique.

Aux Etats-Unis, les accusations de faux témoignage devant des parlementaires sont plus fréquentes. Comment expliquer cette différence ?

Aux Etats-Unis, le prestige du Congrès est beaucoup plus fort que celui du Parlement français. Il représente l’égalité des Etats et est fondateur du pacte américain : la Constitution des Etats-Unis, adoptée en 1787, a une forte considération pour le système législatif, ciment de l’unité américaine. En France, notre histoire est plus troublée, plus complexe.

La dimension morale et religieuse, beaucoup plus forte aux Etats-Unis qu’en France, entre aussi en compte dans la façon dont le parjure est considéré là-bas. Je rappelle que le président américain prête serment sur deux textes : la Constitution et la Bible.

La façon dont le mensonge est considéré dans la sphère publique a-t-elle évolué en France ?

Oui. Il y a eu, ces dernières années, une prise de conscience très forte de la société. Les débats sur la transparence politique [après l’affaire Cahuzac] ont joué un rôle important. L’arsenal législatif sur le contrôle de la vie publique, comme sur les conflits d’intérêts par exemple, s’est considérablement étoffé. L’exigence d’honnêteté et de respect de la parole publique est plus forte que jamais, et les Français admettent beaucoup moins qu’avant l’existence de zones d’ombre, ou le mensonge par omission. Mais dans le cas de l’affaire Benalla, je ne sais pas ce sur quoi cela peut déboucher concrètement.

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