LES CHOIX DE LA MATINALE

Cette semaine dans les salles, une jeune fille trans, une féministe en 3D, une danseuse puissante, une jurée américaine revenue de la peine de mort, la séparation en beauté du couple. Et Bekolo le résistant face au pouvoir camerounais, dans une rétrospective au Musée du quai Branly.

Plus vite, le corps : « Girl »

GIRL - Un film de Lukas Dhont, avec Victor Polster
Durée : 01:49

Sélectionné en 2018 pour Un certain regard et reparti de Cannes avec la Caméra d’or, la Queer Palm et un Prix d’interprétation pour son acteur Victor Polster, Girl poursuit sa route à ­ travers les festivals internationaux sans jamais oublier de rafler un prix.

Cet engouement ne se limite pas à un effet de mode lié à son sujet : l’histoire de Lara, 15 ans, qui rêve de devenir danseuse étoile, mais, surtout, de devenir une femme, car Lara est née garçon. Avec le soutien de son père, la jeune adolescente entame un traitement hormonal contraignant et attend avec impatience de pouvoir être opérée. Mais les effets du ­traitement tardent à arriver : Lara prend son mal en patience, tout en supportant de moins en moins la présence, entre ses cuisses, d’un organe génital qu’elle met tout en œuvre pour oublier.

Déjouant largement toutes les attentes liées au traitement d’un tel sujet, le jeune cinéaste Lukas Dhont s’est astreint à la plus grande des douceurs pour filmer son héroïne. Et c’est ce qui étonne au premier abord, de voir que l’entourage de Lara est compréhensif et la considère comme une fille, que son père (le très juste Arieh Worthalter) l’encourage. Bref, que la violence ne vient pas du monde extérieur. Girl échappe à l’écueil du film à thème dont la problématique engloutirait tout sur son passage. Murielle Joudet

« Girl », film belge de Lukas Dhont. Avec Victor Polster, Arieh Worthalter, Valentijn Dhaenens (1 h 45).

Libératrice animée : « Dilili à Paris »

Dilili à Paris - de Michel Ocelot - Bande-annonce
Durée : 01:37

Il était temps pour Michel Ocelot de revenir à Paris, une ville qu’il aime profondément, non sans une pointe de nostalgie tournée vers ces époques où la cité s’anima plus que de raison. Parmi elles, le début des années 1900 que portèrent dans un même élan vers le beau et le progrès, artistes, inventeurs et inventrices, chercheurs et chercheuses.

C’est justement là, au cœur de la Belle Epoque, que le réalisateur a choisi de se poser pour raconter l’histoire de son septième long-métrage d’animation. Celle de ­Dilili, une petite fille née en Nouvelle-Calédonie, désormais installée à Paris dont elle rêve de connaître tous les recoins et les habitants.

A l’issue d’une scène inaugurale qui prend par surprise le spectateur – et dont on ne dira rien pour ne pas l’en priver –, Dilili fait la connaissance d’un jeune livreur en triporteur, Orel, qui va se charger de satisfaire sa curiosité. Celui-ci la met cependant en garde. Les entrailles de la capitale cachent une bien autre réalité, une sombre histoire celle-là : depuis quelque temps, des fillettes sont enlevées par des « mâles-maîtres » dont personne ne sait qui ils sont, puis disparaissent, comme aspirées dans les souterrains de la ville. Véronique Cauhapé

« Dilili à Paris », film français d’animation de Michel Ocelot (1 h 35).

Sur la route de la peine de mort : « Lindy Lou, jurée n° 2 »

LINDY LOU, JUREE NUMERO 2 Bande Annonce (2018) Documentaire
Durée : 02:18

Avant que ne sorte Lindy Lou, jurée n° 2, personne n’avait entendu parler de Mme Isonhood, électrice républicaine, pilier de son église, retraitée habitant le Mississippi, Etat « rouge » (républicain), l’un des bastions de Donald Trump.

Dans le film de Florent Vassault, Lindy Lou Isonhood se lance – à l’instigation du réalisateur – à la recherche des jurés en compagnie desquels elle a voté la mort d’un homme, en 1994.

Dans les lotissements de maisons cossues dispersés dans les bois du Mississippi, elle frappe à la porte de femmes et d’hommes qui, pour certains, ont oublié, quand d’autres sont taraudés par le souvenir. Le voyage de cette femme sur les routes du Mississippi, ses étapes dans les intérieurs des anciens ­jurés, constituent à la fois un pèlerinage expiatoire et une enquête sociologique. Thomas Sotinel

« Lindy Lou, jurée n° 2 », documentaire français de Florent Vassault (1 h 24).

Le flamenco au travail : « Impulso »

IMPULSO Bande Annonce (2018) Documentaire, Musical
Durée : 02:06

Très connue dans le milieu de la danse contemporaine, la chorégraphe Rocio Molina a réinventé la tradition flamenca avec une liberté et une énergie rares. Qu’elle rampe tel un insecte ou laisse traîner sa jupe dans un liquide couleur sang, elle saisit cet élan – l’impulso – qui lui vient « du corps pour atteindre l’esprit » selon ses propres mots, et qui donne son titre au documentaire d’Emilio Belmonte.

Le film se concentre sur les répétitions qui ont précédé le jour J de la création – Caida del cielo, qui a eu lieu au Théâtre national de Chaillot, à Paris, en novembre 2016. On ne lâche pas la danseuse, ses musiciens ni son manageur.

Sur le plateau ou à table, ils cherchent et discutent. Comment caler la guitare ou le ton de voix ? A quel instant vont-ils trouver l’idée, le bon geste ? Le charme du film tient d’abord au plaisir du travail qui anime l’équipe. Clarisse Fabre

« Impulso », documentaire espagnol et français d’Emilio Belmonte (1 h 25).

Je ne t’aime plus, moi aussi ! « L’Amour flou »

« L’Amour flou », un film de et avec Philippe Rebbot et Romane Bohringer. / REZO FILMS

André Breton invente « l’amour fou » en 1937, bréviaire fiévreux de la rencontre unique entre deux êtres, soit lui-même et Jacqueline Lamba, peintre, décoratrice, gauchiste, danseuse aquatique. Quatre-vingts ans plus tard, Romane Bohringer et Philippe Rebbot, ci-devant acteurs, proposent, sous les auspices de « l’amour flou », le vade-mecum de la séparation exemplaire. La leur, entre parenthèses. Après dix ans de vie commune à Montreuil, en Seine-Saint-Denis, et deux ­enfants qu’ils aiment visiblement beaucoup, la chose étant réciproque. 

En l’affaire, chacun sa méthode. Celle du couple Bohringer-Rebbot est retorse, et à double détente. Premier palier : on limite les dégâts pour les enfants. On cherche une solution qui tienne de l’éloignement minimal.

Un promoteur immobilier inventif la trouve. Une surface nue, qui se partagera entre deux appartements séparés, mais réunis par la chambre des enfants. Il fallait y penser. C’est le concept sioux de la séparation amoureuse, symboliquement actée, matériel­lement caduque. C’est une utopie de notre temps, que celle de ce couple qui, se défaisant solidairement, continuerait de se construire. Jacques Mandelbaum

« L’Amour flou », film français de Romane Bohringer et Philippe Rebbot. Avec Romane Bohringer, Philippe Rebbot, Reda Kateb (1 h 37).

Cinéaste en mouvement en pays immobile : Jean-Pierre Bekolo

quartier mozart controle !
Durée : 00:44

Parmi les longs-métrages du réalisateur camerounais Jean-Pierre Bekolo que l’on verra pendant les deux jours de la rétrospective que lui consacre le Musée du quai Branly, on distingue tout d’abord Le Président, réalisé en 2013, interdit dans son pays, et pour cause. Il y est question, sur le mode satirique, d’un chef d’Etat absentéiste et inamovible, qui ressemble fort à celui qui vient de se représenter, à 85 ans, pour un septième mandat.

Bekolo ne fait pas dans le réalisme (à l’exception de son premier film, Quartier Mozart, sorti en 1992) : il a exploré le lyrisme onirique (Les Saignantes), la science-fiction (Miraculous Weapons) et la série historique Our Wishes (qui évoque la colonisation allemande au Cameroun), qui seront tous représentés pendant ces deux jours, occasion de découvrir un cinéaste dont les films peinent à parvenir jusqu’aux écrans français. Thomas Sotinel

Rétrospective Jean-Pierre Bekolo, 13 et 14 octobre, Musée du quai Branly. Paris 7e. Entrée gratuite.