« Les Montagnes hallucinées ». / © Gou Tanabe

Rares sont les auteurs qui, comme H. P. Lovecraft, ont réussi à imposer un univers, un style narratif et une mythologie aussi forte autour de leurs écrits. Même le nom de sa ville de naissance, Providence, ou de sa maison d’édition, Arkham House, dans le Rhode Island, distillent une poésie étrange pour qui a approché l’œuvre de l’auteur américain. Tout ce qui entoure Lovecraft, ses thèmes macabres autour du mythe de Cthulhu, ses inventions topographiques (Miskatonic, Innsmouth, Dunwich…) ou son Necronomicon irriguent encore le monde de l’horreur près d’un siècle après sa mort.

C’est donc à un exercice ambitieux que se prêtent les éditions Ki-oon avec la sortie des Montagnes hallucinées, adaptation de la longue nouvelle horrifique de Lovecraft. Dans un format médium couvert d’un faux cuir souple marron, l’ouvrage, qui s’éloigne des standards du manga tant par son style que par sa narration, s’attaque à un écrit iconique. Ce premier volume participe d’une série en deux tomes, elle-même intégrée à une collection plus vaste sur les « chefs-d’œuvre de Lovecraft ».

« Les Montagnes hallucinées ». / KYOKI NO SANMYAKU NITE LOVECRAFT KESSAKUSHU Vol.1 ©TANABE Gou 2016 & 2017

L’histoire de cette équipe scientifique qui découvre les traces d’une civilisation perdue au milieu des glaces polaires aura fait des émules, depuis The Thing jusqu’à Alien Vs Predator, en passant par les multiples occurrences mineures du cinéma fantastique. Assez récemment encore, ce même récit était la priorité du réalisateur Guillermo del Toro, avant un coup d’arrêt brutal de sa production.

« Les Montagnes hallucinées ». / © Gou Tanabe

Gou Tanabe est un auteur connu dans l’univers du seinen manga, avec une palette assez variée. Il a publié dès le milieu des années 2000 quelques séries courtes dont Kasane et Mr Nobody, qui ont confirmé sa réputation avec un dessin assez européen et très précis. Car il faut un certains sens du détail pour restituer parfaitement Les Montagnes hallucinées, nouvelle très descriptive et peu bavarde. Témoignage à la première personne de William Dyer, membre survivant de l’expédition polaire qui est au centre du récit, le dialogue est rarement utilisé dans la nouvelle. C’est d’ailleurs une caractéristique de l’écriture de Lovecraft. Cette difficulté stylistique est évacuée par Gou Tanabe, qui n’a pas hésité à interpréter les propos du narrateur de manière explicite en les faisant parler, une incarnation bienvenue pour la dynamique particulière du manga.

« Les Montagnes hallucinées ». / KYOKI NO SANMYAKU NITE LOVECRAFT KESSAKUSHU Vol.1 © TANABE Gou 2016 & 2017

Fruit d’une époque complexe qui voit simultanément l’effet dévastateur de la crise de 1929 et des avancées technologiques sans précédent, le petit roman de Lovecraft est un peu anachronique dans une période qui est aussi le premier âge d’or de la science-fiction, entre 1930 et 1950. Il est d’ailleurs publié dans la jeune revue Astounding Stories en 1937 (l’année de la mort de Lovecraft), qui va devenir avec Amazing la plus populaire des revues de science-fiction à ce jour. C’est sans doute cette popularité éditoriale qui explique ce succès assez inattendu dans une époque ou la « hard tech SF » est en pleine ascension. Par nombre d’aspects, l’œuvre de Lovecraft est le dernier sursaut d’un genre « fantastique » détrôné par la SF, avec une dimension naturaliste et symboliste que restitue très bien le dessin noir et blanc, si proche de la gravure, de Gou Tanabe.

« Les Montagnes Hallucinées » / KYOKI NO SANMYAKU NITE LOVECRAFT KESSAKUSHU Vol.1 © TANABE Gou 2016 & 2017

Les Montagnes hallucinées, de Gou Tanabe, tome I le 4 octobre 2018, éditions Ki-oon, 290 pages, 15 euros.