Urgences engorgées : l’hôpital payé pour ne pas soigner
Urgences engorgées : l’hôpital payé pour ne pas soigner
Par François Béguin
Un amendement LRM au budget de la « Sécu », adopté mercredi en commission, vise à inciter les hôpitaux à réorienter les pathologies les moins graves vers les médecins généralistes.
Payer les urgences hospitalières pour qu’elles réorientent les patients présentant les pathologies les moins graves vers la médecine de ville… C’est l’étonnante proposition faite par Olivier Véran, député (LRM) de l’Isère et rapporteur général de la commission des affaires sociales, dans le cadre d’un amendement au projet de loi de financement de la sécurité sociale. La mesure, qui a été adoptée en commission, mercredi 17 octobre, vise à désengorger les services d’urgences, dont la fréquentation augmente de 2 % à 3 % chaque année depuis quinze ans, pour atteindre aujourd’hui les 23 millions de passages annuels.
Or, plus d’un quart de ces passages « auraient pu être pris en charge par un médecin généraliste le jour même ou le lendemain, sans nécessiter d’examens complémentaires », fait valoir M. Véran. Pour inciter l’hôpital à renoncer à une source de revenus (chaque passage aux urgences rapportant en moyenne 161,50 euros, selon la Cour des comptes en 2014), le député propose de créer un « forfait de réorientation » de 20 à 60 euros.
« Contre la tendance à faire du chiffre »
L’hôpital le toucherait pour chaque patient venu aux urgences à qui aurait été proposé un rendez-vous dans un bref délai chez un médecin de ville, dans une maison médicale de garde ou auprès d’une consultation hospitalière spécialisée. Avec un tel dispositif, l’élu juge possible de pouvoir réorienter jusqu’à « 6 millions de patients chaque année », ceux-ci étant libres d’accepter ou de refuser cette réorientation.
La mesure a reçu un premier accueil en demi-teinte de la part des professionnels de santé. Certains s’interrogent sur les modalités pratiques de sa mise en œuvre. « Qui va orienter les patients ? Si c’est le médecin, cela n’a aucun intérêt. Il faut que ce soit l’infirmière d’accueil et d’orientation, à qui il faudra des règles très précises, car elle aura une responsabilité non négligeable », souligne François Braun, le président de SAMU-Urgences de France, tout en estimant qu’il s’agit d’une « bonne idée », car cela va « lutter contre la tendance à vouloir faire du chiffre ».
Une position à l’opposée de celle de l’Association des médecins urgentistes de France (AMUF). Christophe Prudhomme, porte-parole de l’AMUF, juge la proposition « irréaliste » et la qualifie de « coup médiatique ». « La médecine de ville est sinistrée, dit-il. Les médecins généralistes ne peuvent pas faire plus que ce qu’ils font aujourd’hui. C’est illusoire d’imaginer qu’on va soulager les venues aux urgences avec des mesures de ce type. »
Les syndicats de médecins libéraux ont, de leur côté, fait part de leur étonnement de ne pas bénéficier d’une aide financière pour prendre en charge ces consultations non programmées. « Donner 60 euros à l’hôpital pour qu’il envoie un patient voir un médecin de ville à 25 euros la consultation, vous trouvez ça logique ? », demande Jean-Paul Ortiz, le président de la Confédération des syndicats médicaux français, premier syndicat de médecins libéraux, qui plaide pour la mise en place d’un forfait pour les patients pris en urgence par les médecins de ville.
« Sous-utilisation de la médecine générale »
Dans les faits, les médecins de garde touchent déjà 60 euros pour les consultations réalisées entre 20 heures et minuit, 65 euros pour celles réalisées entre minuit et 6 heures du matin et 44,06 euros pour le dimanche. La consultation « standard » de journée à 25 euros n’est en revanche pas majorée si elle est prise en urgence. « Il ne faut pas prendre les médecins libéraux pour des personnes taillables et corvéables à merci », met en garde Jean-Paul Hamon, le président de la Fédération des médecins de France, tout en jugeant la démarche d’Olivier Véran « intéressante ».
Avant même le vote d’une telle mesure, dont le député de l’Isère assure qu’elle a le soutien de la ministre de la santé, Agnès Buzyn, des expérimentations aux objectifs similaires ont déjà été lancées. Depuis le 1er septembre, à Annemasse (Haute-Savoie), un médecin libéral répartiteur, placé derrière l’infirmière d’accueil des urgences, propose chaque soir, entre 18 heures et 22 heures, aux patients sans urgence vitale d’accéder à un rendez-vous dans un délai de trente à quarante minutes chez un médecin libéral de garde, situé à une distance maximum de 20 kilomètres. Soit la possibilité pour ces patients d’éviter trois à quatre heures d’attente aux urgences…
« Il y a entre dix et vingt consultations par heure qui pourraient être évitées aux urgences pendant ce créneau horaire, car il y a dans le même temps une sous-utilisation de la médecine libérale », explique David Macheda, médecin généraliste et trésorier de l’Union régionale des professionnels de santé, qui a porté le projet. « L’hôpital accepte de perdre une partie de son forfait, mais cela laisse plus de temps aux soignants pour les vraies urgences », ajoute-t-il. Objectif de l’expérimentation : réussir à « redistribuer dix consultations par soirée », avant une éventuelle extension du dispositif en journée à l’été 2019.