Réalisateur et producteur d’origine polonaise, installé depuis les années 1980 aux Etats-Unis, Filip Jan Rymsza peut se targuer, à 40 ans, d’avoir contribué à exhumer The Other Side of the Wind, d’Orson Welles. Une sorte d’exploit.

Comment êtes-vous arrivé sur cette affaire dormante ?

Un peu par hasard. Je ne vouais pas un culte particulier à Welles. J’ai appris que ce film existait, je m’y suis intéressé, et plus je progressais dans ma connaissance du dossier, plus le challenge devenait intéressant. C’était comme un puzzle à reconstituer.

Vous avez réussi, avec Frank Marshall, là où d’autres, depuis la mort d’Orson Welles en 1985, avaient échoué avant vous. Comment l’expliquez-vous ?

Ça nous a pris quand même dix ans… Une tentative menée par Peter Bogdanovich et Frank Marshall avait déjà eu lieu pour le compte de la chaîne Showtime. Mais le dossier était très complexe, il y avait de fortes inimitiés, beaucoup de névroses et un grand nombre de gens qui réclamaient, parfois à raison, parfois à tort, des droits sur l’œuvre. Quand nous avons décidé de reprendre les choses avec Frank Marshall, nous avons procédé méthodiquement. Nous sommes allés parler aux ayants droit. Nous avons joué la neutralité technique, et la mise en avant de la réussite du projet, qui tenait finalement à cœur à tout le monde. Oja Kodar, la compagne de Welles, Beatrice Welles, sa fille, et Françoise Widhoff, des Films de l’Astrophore, nous ont finalement donné le feu vert.

Quelles ont été les sources et la méthodologie qui vous ont permis de monter ce film à titre posthume ?

Welles avait laissé une copie de travail d’une quarantaine de minutes et beaucoup de notes, très précises, faisant état de ses intentions, ainsi qu’une douzaine de scénarios successifs. Cela a constitué notre feuille de route, et nous pensons que ce film, paradoxalement, est peut-être plus wellesien que certains autres signés de lui, mais remontés contre son gré. Nous nous sommes efforcés de respecter l’idée de Truffaut selon laquelle Welles filmait comme un mégalomaniaque, mais montait comme un censeur. Nous avons beaucoup élagué.

Deux thèses s’opposent sur les films inachevés de Welles. L’une lui attribue une responsabilité dans cet inachèvement. L’autre le prend au mot et le considère comme une pure victime des circonstances. Laquelle embrassez-vous ?

Plutôt la seconde. Welles, de par sa nature, son intransigeance, a toujours créé dans un réel climat d’adversité. Il a incontestablement voulu, jusqu’en 1982, finir ce film. Il a bataillé pour récupérer les négatifs.

L’épilogue de cette malédiction a lieu en France, où ce film, qui ne prend sa dimension que sur grand écran, ne trouvera pas le chemin des salles. Comment comprenez-vous cette situation ?

Je pense que ce qu’il faut rappeler ici, c’est que ce film n’aurait jamais existé sans Netflix, qui nous a laissé carte blanche. J’avais pensé, une fois levée l’hypothèque des droits, que les Studios hollywoodiens s’intéresseraient au projet. Ils n’ont pas bougé. Ils voulaient voir le film fini. Mais nous avions précisément besoin d’argent pour le finir. Ce n’est donc pas du monde du cinéma qu’est venue la rédemption… L’absence de sortie du film en France est une petite dette à payer en regard du fait que ce film existe enfin. Je pense, pour en avoir discuté au CNC, qu’une exception aurait pu être faite pour ce film par les exploitants…