Pourquoi le projet d’autoroute controversé A45 a-t-il été abandonné ?
Pourquoi le projet d’autoroute controversé A45 a-t-il été abandonné ?
Depuis 1993, ce projet de 48 kilomètres autoroutier pour relier Brignais à la Fouillouse a été maintes fois validé, mais toujours repoussé. La ministre des transports l’a définitivement enterré.
C’est en 1993 que les premières études de faisabilité sont lancées pour le projet A45. / GUILLAUME SOUVANT / AFP
C’était l’Arlésienne locale, avec ses soutiens et ses détracteurs. Depuis vingt-cinq ans, les habitants des bassins stéphanois et lyonnais entendaient parler de cette autoroute A45, maintes fois validée mais toujours repoussée. Les uns promettaient qu’elle décongestionnerait la circulation entre les deux agglomérations et dynamiserait la région ; les autres y voyaient surtout une gabegie financière conduisant à la destruction de 500 hectares de terres agricoles.
La ministre des transports, Elisabeth Borne, a mis un terme à l’affrontement. Mercredi 17 octobre, le gouvernement a annoncé que le projet était définitivement abandonné, au motif que « l’Etat privilégie les alternatives routières et ferroviaires à l’A45 ». Une décision qui n’a pas manqué de provoquer la colère de certains élus locaux, qui ont tôt fait de dénoncer une trahison gouvernementale. Retour sur un revirement politique conséquent.
Qu’est-ce que le projet d’autoroute A45 ?
C’est en 1993 que les premières études de faisabilité sont lancées pour ce projet de 48 kilomètres d’autoroute, prévu pour relier Brignais, une commune située au sud de Lyon, à la Fouillouse, sise au nord de Saint-Etienne. Cette portion routière devait permettre de doubler l’autoroute A47, un axe de 40 kilomètres à travers la vallée industrielle du Gier, très accidentogène et régulièrement saturé – près de 100 000 véhicules par jour en moyenne.
Le coût total du projet est estimé à 1,2 milliard d’euros. Un tarif conséquent pour un projet de cette taille, qui s’explique notamment par la nécessité de construire quatre tunnels et onze viaducs. Le plan de financement, négocié durant plus de quinze ans, prévoyait une prise en charge à hauteur d’un tiers par l’opérateur privé choisi – Vinci –, et de deux tiers par l’Etat et les collectivités locales, soit 790 millions de fonds publics.
Pourquoi est-ce un revirement politique ?
Après des années de tergiversations gouvernementales sous les mandats de Jacques Chirac, 2008 avait semblé marquer un tournant dans l’histoire du projet A45. A l’issue du Grenelle de l’environnement – qui prévoyait pourtant l’arrêt des projets autoroutiers interurbains –, le ministre de l’écologie et de l’aménagement du territoire, Jean-Louis Borloo, avait alors déclaré le projet d’utilité publique. Un feu vert qui devait accélérer le processus.
L’appel à candidatures pour le concessionnaire privé fut lancé le 25 avril 2012, à quelques semaines de la fin de quinquennat de Nicolas Sarkozy. Mais certains points du financement continuaient de poser problème – notamment du côté des élus de la région lyonnaise. En 2016, le secrétaire d’Etat chargé des transports, Alain Vidalies, annonce le choix de la société Vinci Autoroutes comme concessionnaire, pour la réalisation et l’exploitation pendant cinquante-cinq ans de la future autoroute à péage. Une nouvelle étape cruciale vers la naissance du projet, qui reçoit l’avis favorable du Conseil d’Etat en 2017.
Mais le vent tourne pour l’A45. Comme pour de nombreux autres grands projets d’infrastructures, la contestation s’organise. Après des premières procédures judiciaires lancées par des élus Europe Ecologie-Les Verts (EELV), c’est le rapport Duron, rédigé par le conseil d’orientation des infrastructures début 2018, qui préconise de suspendre le projet et trouver une « alternative acceptable pour tous ». Un conseil qu’aura donc choisi de suivre le gouvernement d’Edouard Philippe, à la surprise des élus locaux.
Quel est l’argument du gouvernement ?
Pour la ministre des transports, le constat est clair : « Sur l’A45, a priori si c’était un projet consensuel on peut supposer qu’il serait d’ores et déjà fait. Donc c’est un projet qui soulève de nombreuses questions. » Suivant les recommandations du rapport Duron, la ministre a rappelé les trois faiblesses principales du projet A45 :
- un impact environnemental néfaste sur les coteaux du Jarez et les monts du Lyonnais, avec la destruction de 500 hectares de terres agricoles et de vergers ;
- un sous-dimensionnement à l’arrivée de Lyon et La Fouillouse ;
- un taux de subvention trop élevé pour une concession.
Mais Elisabeth Borne n’est pas repartie les mains vides pour autant :
« Je le dis très clairement, il y a 400 millions d’euros qui étaient prévus dans la participation de l’Etat pour l’autoroute A45, ces 400 millions d’euros seront investis quoi qu’il en soit pour améliorer les liaisons entre Lyon et Saint-Etienne. »
Dans le détail, ce montant devrait permettre de financer la création de bandes d’arrêt d’urgence sur l’ensemble de l’A47, le traitement du nœud Givors-Ternay avec notamment un élargissement, et une meilleure connexion de l’A47 à l’A46. Il pourrait également servir à renforcer la ligne TER entre Lyon et Saint-Etienne, aujourd’hui l’une des liaisons les plus empruntées de France avec 20 000 passagers et 120 trains par jour.
Et maintenant ?
« L’abandon du projet A45 sonne comme un véritable désastre pour les habitants, les entreprises et l’ensemble des forces vives du grand bassin constitué par les métropoles de Saint-Etienne et de Lyon », a réagi avec véhémence le collectif A45. A l’unisson, Gaël Perdriau, maire de Saint-Etienne, Laurent Wauquiez, le président du conseil régional d’Auvergne Rhône-Alpes, et Georges Ziegler, le président du conseil départemental de la Loire, ont dénoncé une « méthode indigne ».
Mais les élus locaux ne sont pas tous déçus de cette décision. Dans un communiqué commun, Régis Juanico, député de la Loire (Générations), Jean-Claude Tissot, sénateur de la Loire (groupe socialiste et républicain) et Johann Cesa, premier secrétaire fédéral du PS Loire, ont ainsi estimé que « les projets qui ne parviennent pas à voir le jour pendant plus de trente ans sont par définition de mauvais projets ».
Faut-il voir dans cet abandon d’un projet contesté le signe d’un léger changement d’orientation pour le gouvernement, après le départ fracassant début septembre du ministre de l’écologie, Nicolas Hulot, qui implorait le chef de l’Etat d’être « à la hauteur du pire défi que l’humanité ait jamais rencontré » ? Reste que d’autres projets polémiques continuent d’avancer, à l’image du grand contournement ouest de Strasbourg. Début septembre, les opposants à ce projet datant de 1973 avaient été sèchement évacués par la police