« Emanon », un manga contemplatif sur l’immortalité
« Emanon », un manga contemplatif sur l’immortalité
Par Bernard Monasterolo
Kenji Tsuruta signe avec brio l’adaptation d’une nouvelle fantastique mettant en scène une jeune femme renaissant à chaque génération, depuis trois milliards d’années.
Emanon renaît à chaque génération, avec le souvenir de ses ancêtres, depuis le protozoaire, sur une période de trois milliards d’années. C’est cette histoire extraite d’une nouvelle fantastique écrite par Shinji Kajio en 1983 qu’illustre Kenji Tsuruta pour ce second volume d’Emanon, sorti aux éditions Ki-oon, après un beau premier volume (Souvenirs d’Emanon en janvier 2018). Un étudiant qui rentre chez lui y rencontre, sur un ferry, cette jeune fille bucolique et décomplexée qui va se rapprocher de lui. Il lui rappelle un de ses amours anciens, plusieurs siècles auparavant, et lui raconte son destin singulier, celui de l’immortalité.
Ce nouveau récit tout en finesse et à la trame narrative complexe participe de l’univers étrange construit autour du personnage indéchiffrable d’Emanon (« no name », quand on le lit à l’envers), et des relations qu’elle noue avec son entourage. Affiné pendant plus de trente ans par son auteur dans quelques nouvelles, Emanon véhicule nombre de concepts autour du souvenir et de la nostalgie, des thématiques qui irriguent les deux volumes. Lenteur du temps qui passe, valeur de la contemplation et de la rêverie consciente sont autant de sujets qui vont donner du poids au souvenir et sa saveur. Quelque chose de proustien imprègne les 200 pages de l’ouvrage.
Le dessin pastel (pour la première partie en couleur) de Tsuruta colle parfaitement à ce rythme assez lent où souvent rien ne se passe. On se souvient de ce même trait si particulier qui habitait déjà L’Ile errante, de son héroïne en bikini, clope au bec et son obsession insulaire. Paysages, forêts, temples et milieux urbains tranquilles : c’est un Japon fantasmé que raconte le dessin du mangaka, comme immobile et peu altéré par le passage du temps, d’autant que l’histoire couvre plusieurs générations.
Shinji Kajio
Mais l’impression de faible densité narrative n’est que de surface, car l’héroïne charrie avec elle des responsabilités et un destin lourd à porter. La transmission de la mémoire tout d’abord, qui comme dans des vases communiquants, se fait de mère à fille, la première oubliant ce que la deuxième apprend. In fine, la fille se débarrasse de sa mère. Nouvel ajout à l’histoire, assez symbolique, la responsabilité écologique de l’héroïne, voyageuse qui conserve des graines vitales à la survie des espèces, qu’elle réactive régulièrement. Enfin, au gré de ses déplacements, la « jeune » femme entretient ses rencontres, sur de très longues durées, posant la question du temps, de l’amitié et de la mort.
Un manga magistralement dessiné, très touchant et qui brasse avec une certaine délicatesse de multiples questions sur l’existence.
Shinji Kajio
Errances d’Emanon, de Shinji Kajio, dessins de Kenji Tsuruta, en librairie le 6 octobre, éditions Casterman, 210 pages, 15 euros.