Automobile : pour Thierry Neuville, « ma vie c’est le rallye »
Automobile : pour Thierry Neuville, « ma vie c’est le rallye »
Par Catherine Pacary (Monaco, envoyée spéciale)
Le pilote belge peut remporter, dimanche en Espagne, son premier titre de champion du monde des rallyes.
Le pilote belge de rallye Thierry Neuville, le 15 octobre au Monte Carlo Bay, tout près de son domicile. / CAP
Leader du championnat du monde des rallyes automobiles (WRC) depuis sa victoire au Portugal, à la mi-mai, le pilote belge de l’écurie Hyundai Thierry Neuville a vu fondre son avance sur ses poursuivants. Le Français Sébastien Ogier n’est plus qu’à 7 points de lui, et l’Estonien Ott Tänak à 21 points, autant dire rien, une victoire pouvant rapporter jusqu’à 30 points. Mathématiquement, Thierry Neuville et son copilote, Nicolas Gilsoul, peuvent néanmoins décrocher leur premier titre mondial dimanche 21 octobre, à l’issue du rallye d’Espagne, avant-dernier rendez-vous de la saison.
« Un tel suspense est une bonne chose pour les fans », positive Thierry Neuville, rencontré à Monaco quelques jours avant le rendez-vous espagnol. Souriant, tee-shirt et jean noir savamment rapiécé, le coureur belge aux fines lunettes noires semble tout sauf stressé. Une décontraction qu’il impute à sa « bonne nature », qui lui permet de rester « plutôt joyeux » en toutes circonstances, que l’on parle de ses rivaux ou de son exil à Monaco pour des raisons fiscales.
« Ma vie, c’est le rallye, assure le jeune trentenaire. A 5 ans, je voulais déjà être pilote de rallye. » Né à 15 km du circuit automobile de Spa-Francorchamps, dans la province de Liège, il n’a raté aucun Grand Prix de formule 1, aucune course d’endurance. A la télévision, allemande, il suit les exploits de Michael Schumacher en formule 1 ; sur sa PlayStation, il se mesure à Colin McRae, champion du monde des rallyes 1995. Mais c’est en bord de route, lors des rallyes régionaux, qu’il vibre le plus : « Il y a des tête-à-queue, des accidents, c’est spectaculaire ! »
La Hyunday WRC i20 du tandem Neuville-Gilsoul lors du Rallye de Finlande 2018. / HYUNDAI
Des débuts compromis
L’école paraît bien fade à côté. Néanmoins, il travaille ce qu’il faut pour ne jamais redoubler, parce que, « quelque part, c’est une année de ta vie que tu perds ». Adolescent, il emploie surtout ses capacités à financer sa première voiture de rallye. Une fois acquise, il court dans la compétition organisée par le RACB (Royal Automobile Club de Belgique, équivalent de la Fédération française du sport automobile). « Nous étions 120 jeunes et le vainqueur gagnait une saison de rallye en championnat de Belgique national. » Thierry Neuville s’impose.
« C’est de là que tout est parti. » Avec le soutien de sa fédération, il trouve des sponsors et enchaîne les compétitions en Belgique et en championnat international (IRC). Avant d’intégrer le WRC avec Citroën Racing, écurie d’un certain Sébastien Loeb (en 2012, sa dernière année). Il a pourtant failli ne jamais y arriver.
En 2011, il débute en IRC par un abandon dès la première spéciale du Rallye d’ouverture à Monte-Carlo. Peugeot pose alors un ultimatum : « Si ça se passe mal au Canada [2e rallye au calendrier], on arrête. » « Là, oui, j’ai eu peur, admet Thierry Neuville. Peur qu’un échec m’empêche d’accéder au niveau supérieur. » Au Canada, il finit 3e à sept secondes du vainqueur ; lors de la manche suivante, en Corse, il s’impose. Peugeot rassuré, le programme est scellé.
Avec le recul, Thierry Neuville a appris à s’en remettre au destin : « Quand ça ne marche pas, il ne faut pas se poser de questions, aller tout droit et continuer. » Avec le soutien indéfectible depuis ses débuts de son manageur, Geoffroy Theunis, et tout en ne comptant pas ses heures. Physiquement, le pilote s’entraîne quarante-cinq minutes à deux heures chaque jour, généralement dans les salles de sport des hôtels, « plus simples d’accès quand on voyage 240 jours par an ».
Pour la partie pilotage, la technique de freinage se peaufine sur circuit, les simulateurs restant inadaptés aux épreuves de rallyes trop complexes à modéliser, avec leurs 350 km chronométrés répartis en une vingtaine de spéciales courues sur trois jours et jamais semblables.
« Un sport instinctif »
D’où une certitude : « Le rallye est avant tout un sport instinctif. On ne peut pas vraiment le préparer. » Dans ces conditions, l’expérience – déjà onze années en professionnel – joue beaucoup. « Il suffit de voir le reflet d’une flaque d’eau pour savoir si cela va glisser ou non. »
Les caméras embarquées sont toutefois devenues des outils d’aide importants. « Avant [2014], il fallait une matinée pour évaluer à quelle vitesse on pouvait passer une bosse. » D’où un gain de temps précieux. Et la possibilité pour Thierry Neuville de repérer avant le rallye d’Espagne les endroits où il a été rapide et ceux « où je me suis fait des chaleurs ».
Rally Australia Best of: On-board with Thierry Neuville - Hyundai Motorsport 2017
Durée : 00:59
Derrière le pilote pointe l’homme d’affaires, qui assume d’être domicilié à Monaco depuis la fin de 2013 pour raisons fiscales : « Nous exerçons une profession très courte. En 2012 [lorsqu’il s’est décidé], je ne savais pas si cela allait durer. Et cela dure », dit-il, le regard rieur. C’est toutefois en Belgique qu’il a décidé d’investir pour « après », afin de créer une entreprise de location de voitures.
Séance de dédicaces en marge du rallye de Grande-Bretagne, le 5 octobre. / HYUNDAI
S’il se déclare « fier de porter haut les couleurs de [son] pays », son rapport à la notoriété reste complexe. Il cherche donc la bonne distance entre froideur et excès de familiarité, tout en « gardant une part de mystère ». Tout juste consent-il à préciser que son père était chauffeur de camion, sa mère employée « dans des bureaux », que son frère a préféré ne pas poursuivre en rallye pour s’occuper de leur « affaire » commune et qu’il a un demi-frère de « 12 ou 14 ans ».
Il vient en outre d’obtenir son brevet de pilote d’hélicoptère, une passion qu’il partage avec Sébastien Loeb. Thierry Neuville roulerait-il sur les traces du nonuple champion du monde alsacien ? Il balaie d’une pirouette : « “Thierry, tu as toujours eu tout ce que tu voulais”, m’a toujours dit ma mère. Là, il ne me manque que le titre de champion du monde. » Ce week-end, en Espagne, il aura peut-être l’occasion de ne pas la désavouer.