« Beaucoup de consommateurs ne savent pas qu’ils achètent de l’ivoire illégal »
« Beaucoup de consommateurs ne savent pas qu’ils achètent de l’ivoire illégal »
Propos recueillis par Marion Douet (Nairobi, correspondance)
Joep van Mierlo est directeur Europe du Fonds international pour la protection des animaux (IFAW). Il revient sur les dernières évolutions en matière de commerce d’ivoire.
Joep Van Mierlo, directeur Europe du Fonds international pour la protection des animaux (IFAW), le 9 octobre au parc national d’Amboseli, au Kenya. / Andrew Renneisen pour Le Monde
Le directeur Europe du Fonds international pour la protection des animaux (IFAW), Joep van Mierlo, appelle à une simplification de la législation, citant l’exemple britannique.
La Chine a interdit le commerce d’ivoire sur son territoire depuis le 1er janvier. Observe-t-on déjà un impact de cette décision ?
Oui, en partie. Selon des recherches menées en Chine cette année auprès des consommateurs, 14 % des personnes interrogées disent avoir acheté de l’ivoire au cours des douze derniers mois, contre 31 % lors d’une enquête similaire en 2017. Le nombre de commerces qui en proposent a aussi baissé de 30 %, mais il reste dans l’absolu important. De tels processus prennent du temps. L’interdiction est là mais elle doit encore, par certains aspects, être traduite en actes. Par exemple, un travail doit encore être fait sur la sensibilisation des consommateurs, dont beaucoup ne savent pas que c’est illégal.
Est-ce un problème spécifiquement en Chine ?
Non, en Chine, en Europe ou aux Etats-Unis. Il y a une déconnexion entre le produit et son origine. Beaucoup d’acheteurs ne savent pas que cet objet vient d’un animal qui a été tué pour cela, ou ne savent pas que tel objet qu’ils veulent acquérir est en ivoire. C’est notamment un problème pour les plates-formes de vente en ligne, comme eBay ou Catawiki, où les produits s’échangent sur la base de photographies. Or, sur une photographie vous ne pouvez pas savoir s’il s’agit ou non d’ivoire. Il faut avoir l’objet en main pour cela. Nous travaillons avec plusieurs tech companies pour les aider face à cet enjeu.
Que recommande IFAW pour aider ces entreprises, et mieux contrôler le marché de l’ivoire en général ?
Il faut des lois plus simples, notamment à l’échelle européenne. Aujourd’hui, les règles sont différentes selon que l’ivoire est brut ou sculpté, s’il l’a été avant ou après le 3 mars 1947 [date qui détermine le statut d’antiquité d’un objet]. Ensuite, il y a des règles différentes pour l’importation dans l’Union européenne, le transit au sein de l’UE, et l’export à l’extérieur de l’UE. C’est difficile à gérer, notamment pour une entreprise comme eBay, qui est internationale et travaille dans de nombreux pays.
Nous militons donc pour une règle plus simple. Dans le même sens, nous essayons de pousser pour rendre plus claire l’interdiction. Plutôt que de considérer que l’ivoire est « légal sauf exception », il faut mettre en avant qu’il est « illégal sauf exceptions ». Ce n’est pas la même chose !
Y a-t-il un pays modèle en matière de régulation de l’ivoire, duquel on pourrait s’inspirer ?
La loi britannique est actuellement la plus aboutie [le pays a annoncé en mars dernier une nouvelle réglementation interdisant tous les objets quel que soit leur âge, avec des exceptions très réduites]. Comme dans ce pays, IFAW voudrait voir une interdiction totale de l’ivoire avec des exceptions a minima pour des objets qui contiennent moins de 200 grammes d’ivoire, pour moins de 5 % du volume total de l’objet. Appliquer ces critères partout reviendrait à retirer du marché tous les objets massifs en ivoire.
Il y a un an, les Etats-Unis ont à nouveau autorisé l’importation de trophées de chasse depuis le Zimbabwe et la Zambie. C’est un sujet parallèle à l’ivoire, mais le message envoyé quant à la valeur des animaux, n’est-il pas le même ?
Bien sûr. D’un côté, la loi américaine sur l’ivoire est plutôt bonne, il y a une attention portée à la protection de la nature, aux habitats. Et de l’autre, l’administration Trump révoque des règles mises en place par son prédécesseur sur les trophées de chasse. C’est très inquiétant, car cela donne un double standard pour les consommateurs.
En début d’année, le dernier rhinocéros blanc du nord mâle est mort au Kenya. Des scientifiques tentent aujourd’hui de relancer l’espèce, mais certaines ONG ont critiqué cette démarche, arguant que leur habitat naturel a, de toute façon, pratiquement disparu. Qu’en pensez-vous ?
On peut recréer de l’habitat. Et puisqu’il n’existe aucun mâle vivant à ce jour, vous n’avez besoin dans un premier temps que de petites surfaces. A Laikipia, dans le nord du Kenya, existe la dernière réserve accueillant des rhinocéros blancs du nord (le dernier mâle, Sudan, y est mort, deux femelles y vivent encore), donc cette réserve peut être utilisée. Ensuite la question se posera peut-être s’ils deviennent trop nombreux. Mais ce sera alors un « problème de riche ».