L’avenir incertain du laboratoire national antidopage
L’avenir incertain du laboratoire national antidopage
Par Clément Guillou
En instance de déménagement pour préparer les JO 2024, le laboratoire aimerait rejoindre le campus d’Orsay. Mais le gouvernement est sensible à une option plus politique, à Evry.
A l'entrée du département des analyses de l'Agence française de lutte contre le dopage (AFDL) à Châtenay-Malabry (Hauts-de-Seine) en 2008. / JOEL SAGET / AFP
Abandonné à son triste sort depuis des années, déclassé scientifiquement et à l’étroit dans ses murs, voilà soudain le laboratoire antidopage français l’objet de beaucoup d’égards : en Essonne, deux sites se disputent l’accueil de la structure, forcée de quitter Châtenay-Malabry (Hauts-de-Seine) pour rester compétitive à six ans des Jeux olympiques (JO) de Paris.
Et, à l’image des querelles de chapelle qui agitent le sport français un an après l’obtention des JO, ce n’est pas exactement l’esprit de concorde qui règne : depuis un an, le gouvernement et l’Agence française de lutte contre le dopage (AFLD) se mènent une guerre feutrée dans ce dossier. Tant le campus d’Orsay de l’université Paris-XI que la communauté d’agglomération d’Evry, « Grand Paris Sud », souhaitent accueillir le laboratoire.
Si l’AFLD penche clairement pour rejoindre le plateau de Saclay, où se trouve l’université d’Orsay, le gouvernement est aussi sensible aux arguments d’Evry, portés par un homme de réseaux de la politique sportive : Hakim Khellaf, ancien conseiller sport de Jean-Marc Ayrault et Manuel Valls à Matignon.
« Une décision doit être prise avant la fin de l’année », dit-on au ministère des sports. Le temps presse, de fait, si le laboratoire souhaite être opérationnel en 2023, pour la Coupe du monde de rugby en France et à un an des JO. Jadis dans le peloton de tête des laboratoires de détection, Châtenay-Malabry est désormais dans le viseur de l’Agence mondiale antidopage (AMA). L’exiguïté de cet ancien gymnase, où l’on analyse depuis bientôt 30 ans des échantillons de sportifs, rendait son déménagement prévisible. L’AMA préconise désormais que tout laboratoire antidopage soit adossé à une structure universitaire.
« Comme si l’intelligence ne pouvait pas être en grande banlieue »
Dès 2016, deux hommes font part de leur intérêt à l’AFLD : le biologiste Pierre Tambourin, alors directeur du Génopole d’Evry, et Hakim Khellaf, cheville ouvrière du projet de « Cluster Grand Paris Sport ». Si le projet de grand stade de la Fédération française de rugby, qui devait être le cœur de ce « cluster », a été abandonné, l’agglomération espère toujours réunir sur un même campus des acteurs du haut niveau, de la recherche et de l’économie du sport.
L’installation du laboratoire pourrait insuffler une dynamique nouvelle. La direction de l’AFLD montre, à l’époque, des signes d’intérêt, mais le vent tourne en 2017 : le nouveau directeur du laboratoire, Michel Audran, et la nouvelle présidente de l’AFLD, Dominique Laurent, penchent nettement pour une installation à Saclay et éconduisent Hakim Khellaf.
« L’université Paris-Sud a fait une proposition de qualité qui a le grand mérite d’insérer le laboratoire sur son campus et de l’intégrer parfaitement dans sa stratégie de recherche et d’enseignement : c’est une chance immense pour le laboratoire qu’il faut absolument saisir », estime Dominique Laurent. Pour l’AFLD, l’environnement scientifique d’Evry , spécialisé dans la recherche génétique, est éloigné des priorités de recherche du laboratoire « qui s’isolerait et risquerait de végéter ».
« Evry et Orsay sont complémentaires, rétorque Pierre Tambourin. Rien ne manque chez nous pour un laboratoire et on peut faire des choses novatrices, notamment sur le dopage génétique. L’idéal aurait été de répondre ensemble à l’appel d’offres scientifique [les deux sites sont associés à travers l’université Paris-Saclay] mais l’AFLD a tout fait dans notre dos. »
« C’est de l’apartheid territorial, s’agace Hakim Khellaf. Comme si l’intelligence ne pouvait pas être en grande banlieue. Je n’ai demandé qu’une chose : qu’il y ait match. Car personne n’est propriétaire de la lutte antidopage en France. »
La logique scientifique et celle de l’aménagement territorial
Alors que l’agence estimait le débat clos dès janvier 2018, elle s’est vu réclamer de nouvelles études, puis finalement imposer par Matignon un appel à manifestation d’intérêts. C’est que, dans le même temps, Evry a activé ses leviers politiques. Proche de Manuel Valls, Hakim Khellaf a longtemps dirigé le cabinet du président socialiste de l’Essonne Michel Berson, autre converti au macronisme.
Lorsqu’il était conseiller pour le sport à Matignon, M. Khellaf a côtoyé l’actuel conseiller d’Edouard Philippe, Daniel Zielinski, alors au ministère des sports. En mars, il tape donc à la porte du premier ministre, relayé en mai par le département et l’agglomération Grand Paris Sud. M. Khellaf a aussi plaidé sa cause à l’Elysée et, récemment, a sensibilisé le ministre du budget Gérald Darmanin sur un possible dépassement des coûts et du calendrier annoncé par Orsay.
L’évaluation de l’appel à manifestation d’intérêts, fournie par l’AFLD au ministère des sports et que Le Monde s’est procurée, est sans ambiguïté : les scientifiques de l’agence privilégient la piste d’Orsay, rejoints par un consultant extérieur, Martial Saugy, ancien directeur du laboratoire de Lausanne. « Le projet de Grand Paris Sud reviendrait à sacrifier les ambitions de la France dans le domaine de la science antidopage au profit d’intérêts locaux », peut-on lire. Contactée, l’AMA « ne souhaite pas interférer dans le processus » mais, d’après nos informations, ses dirigeants ont récemment rencontré la ministre Roxana Maracineanu et plaidé pour Paris-XI.
Le gouvernement n’a pas tranché pour autant, pris entre la logique scientifique et celle de l’aménagement territorial. Mme Maracineanu se rendra bientôt sur les deux sites. « Le rapport de l’AFLD donne une préférence mais ce n’est pas une raison pour ne pas se poser de questions, considère le ministère des sports. L’Etat doit envisager le meilleur rapport entre la qualité scientifique du dossier, sa crédibilité calendaire et les modalités de financement. Aucun critère n’est prééminent. Rien ne serait pire que de favoriser un scénario qui ne soit pas prêt pour les Jeux. »
Plus le gouvernement attend, plus les chances d’Evry se renforcent, puisque le calendrier d’Orsay implique un démarrage en novembre pour être prêt en février 2023. Comment réagirait l’agence, qui a autorité sur le laboratoire, si l’Etat forçait la décision en faveur d’Evry ? « On ne travaille pas sur cette hypothèse du tout, répond l’AFLD. Il nous semble qu’on a rendu un dossier suffisamment convaincant pour qu’on ne discute que d’Orsay. »