Arte.tv, mardi 30 octobre à la demande, websérie d’animation

Il s’appelle Feurat Alani. Il est français et irakien ou irakien et français. Peu importe l’ordre, il est les deux à la fois. Comme souvent, c’est enfant, lors des longues vacances d’été, qu’il découvre le pays natal de ses parents. Son « bled » à lui, c’est l’Irak, qu’il visite pour la première fois en 1989. Il a 9 ans lorsqu’il atterrit à Bagdad, il se rappelle porter une cravate bleue. L’un de ses premiers souvenirs ? Une glace à l’abricot au goût exquis ; il n’en léchera plus jamais une autre aussi bonne de toute sa vie.

Feurat – prénom en hommage à l’Euphrate, du nom de ce fleuve aimé par son père qui borde ­Fallouja – fait connaissance avec ses oncles, tantes et autres cousins. La guerre contre l’ennemi iranien a pris fin après huit années de combats (1980-1988). La vie est enfin belle, les jeunes flirtent dans les rues, les cafés sont bondés… Bref, Bagdad rayonne, même si le pays est sous le ­contrôle absolu de Saddam Hussein. Tout le monde le craint au point que les proches de Feurat lui implorent de ne jamais prononcer le nom du dictateur en public. Comment ne pas transgresser cet interdit ? Trop tentant pour lui et sa petite sœur, même s’il ne comprend pas encore pourquoi.

L’invasion du Koweït (1990-1991), l’occupation américaine (2003-2011) et une décennie d’embargo ont fini par asphyxier sa seconde patrie

Son père n’est pas du voyage, il a préféré rester en France. Opposant politique dans sa jeunesse, il avait été torturé par les « chiens de garde » de l’autocrate dans une prison d’où on ne sortait pas vivant. Son père, lui, allait pourtant être libéré, puis reçu avec d’autres adversaires par… Saddam Hussein en personne : il souhaitait leur montrer à quel point il pouvait être d’une immense clémence…

Au fil des étés, Feurat tombe amoureux de l’Irak ; mais le pays de ses parents va sombrer et se perdre dans des guerres sans fin. L’invasion du Koweït (1990-1991), l’occupation américaine (2003-2011) et une décennie d’embargo ont fini par asphyxier sa seconde patrie. Le sucre, onéreux et rare, devient un produit de contrebande telle une vulgaire drogue. Les hôpitaux manquent de tout, et, lorsque Feurat Alani se fera recoudre une plaie à la tête, son oncle devra soudoyer chèrement le docteur pour obtenir une anesthésie.

Guerres sans fin

Feurat voit la misère et le désespoir s’installer dans le pays. Il constate qu’une partie de sa famille, autrefois laïque, a trouvé du réconfort auprès d’Allah comme beaucoup de compatriotes. Plus grand, devenu journaliste, il décide de s’installer à Bagdad, chez sa tante. Agé de 24 ans, il couvre pour la presse française l’invasion américaine et le chaos qui arrive avec les djihadistes d’Al-Qaida et de l’organisation Etat islamique (EI). Le reporter reconnaît désormais chaque bruit de balle ou d’obus. Il explique comment ses « frères » irakiens sont humiliés par les GI et se dit qu’il aurait pu être l’un d’eux ; mais il a eu la chance de naître en France.

L’animation puissante et poétique est réalisée par le dessinateur Léonard ­Cohen

Feurat Alani a choisi de se livrer dans une sublime websérie qu’il a affectueusement appelée Le Parfum d’Irak. En vingt épisodes (de deux à trois minutes), il décrit ses vacances où, été après été, il se rend compte – impuissant – que, dans le pays de ses parents, se succèdent les tragédies.

Mélancolique, poétique, chacun des volets raconte un souvenir précis illustré par une animation puissante et poétique, réalisée par le dessinateur Léonard ­Cohen. Le Parfum d’Irak dépeint majestueusement une vision oubliée du monde arabe, généreuse et riche, joyeuse et libre. « J’ai vu disparaître l’Irak que j’ai rencontré en 1989 », confie-t-il. C’est un conte qui finit mal…

Le Parfum d'Irak | Bande Annonce | ARTE
Durée : 01:00

Le Parfum d’Irak, de Feurat Alani et Léonard Cohen (France, 2018, 20 × 2 à 3 min). Disponible en livre (Arte Editions/Editions Nova, 176 p., 19 €). www.arte.tv