Reprise : « Breaking Away », quatre garçons dans un entre-deux de l’existence
Reprise : « Breaking Away », quatre garçons dans un entre-deux de l’existence
Par Mathieu Macheret
Le film de Peter Yates, qui ressort sur les écrans en version restaurée, est une évocation sensible de l’adolescence américaine en milieu populaire.
C’est sous son titre original que ressort, en copie restaurée, le film le plus tendre et attachant de Peter Yates, connu précédemment comme La Bande des quatre (titre de sa première exploitation en France, en janvier 1980). Réalisateur d’origine britannique aussi modeste qu’efficace, remarqué pour le brio de ses scènes d’action, Yates fit le saut à Hollywood en 1968, sur l’invitation de Steve McQueen, pour tourner avec lui le polar Bullitt, resté célèbre pour ses mémorables poursuites en voiture.
Après dix ans à s’illustrer de préférence dans la comédie criminelle tendance pop et le succès public rencontré par Les Grands Fonds (1977), thriller d’exploration sous-marine, Yates s’engage, avec Breaking Away (1979), sur une voie plus personnelle, en produisant et en réalisant lui-même un scénario de l’écrivain serbo-américain Steve Tesich, inspiré de sa jeunesse universitaire dans l’Indiana. Yates en tire une évocation sensible, réaliste et rêveuse, de l’adolescence en milieu populaire, comme un temps suspendu entre aspirations et renoncements.
A Bloomington, petite ville universitaire de l’Indiana, Dave (Dennis Christopher), Mike (Dennis Quaid), Cyril (Daniel Stern) et Moocher (Jackie Earle Haley), quatre jeunes fils d’ouvriers, lambinent entre la fin du lycée et une vie adulte indéfiniment repoussée, qu’il s’agisse de trouver un emploi ou de raccrocher le wagon des études. Ils se rendent régulièrement sur le site de l’ancienne carrière de la ville pour se baigner dans son lac artificiel ou se dorer au soleil sur les grands blocs de pierre obliques qui la sillonnent.
Mais la proximité du campus les oppose souvent à d’autres adolescents, les étudiants aisés, qui les méprisent en les traitant de cutters (les « coupeurs » de pierre, en référence au métier de leurs parents) et auxquels ils n’hésitent pas à se frotter. Parmi les quatre amis, Dave se passionne pour le cyclisme et s’immerge dans la culture italienne, au grand désespoir de son père (Paul Dooley), ancien cariste reconverti en vendeur de voitures d’occasion. Ses camarades convainquent Dave de courir avec eux la Little 500, la traditionnelle course de relais à vélo, afin d’affronter les équipes du campus.
Une classe ouvrière en déclin
Breaking Away se déroule ainsi sur le registre d’une chronique douce-amère, alternant entre moments de pure fantaisie (les nombreuses courses de Dave à vélo sur des airs d’opéra) et portrait mélancolique des outsiders comme de leur adolescence qui ne veut pas mourir. La grande beauté du film est, en effet, de saisir ses jeunes personnages dans un entre-deux de l’existence. Déscolarisés, les quatre amis habitent un temps ouvert, un sursis d’enfance qui se retourne parfois contre eux, puisqu’il apparaît aussi comme une sortie de piste, un isolement, voire un déclassement.
Leur liberté ne va pas sans une profonde appréhension de l’avenir ni l’impression concomitante d’une perte irrémédiable. C’est ce sentiment mêlé, celui des promesses qui s’estompent, qui rend tout du long le film si émouvant. Il s’amplifie d’une conscience rétrospective : celle que ses jeunes comédiens, tous infiniment prometteurs, n’ont pour beaucoup pas connu la carrière qu’ils méritaient (hormis Dennis Quaid).
Breaking Away ne décrit pas seulement un passage à l’âge adulte, mais surtout la naissance d’une conscience : celle d’appartenir à une classe ouvrière en déclin. Si Dave s’identifie aux cyclistes italiens, c’est surtout pour s’inventer une parenté plus glorieuse, avant de pouvoir assumer la sienne complètement. De très belles scènes montrent son père retournant sur les lieux de son ancien travail ou expliquant à son fils que ce sont eux, les derniers tailleurs de pierre de sa génération, qui ont construit les bâtiments de cette université tant convoitée.
A travers cette relation père-fils, le film évoque également le démantèlement amorcé de la condition ouvrière : les licenciements économiques, les requalifications, la disparition des savoir-faire… C’est aussi de cette mémoire-là que les quatre adolescents ne parviennent pas complètement à faire le deuil.
Breaking Away (La Bande des quatre - 1979) - Bande annonce (Rep. 2018) HD VOST
Durée : 01:57
Film américain de Peter Yates (1979). Avec Dennis Christopher, Dennis Quaid, Daniel Stern, Jackie Earle Haley, Barbara Barrie, Paul Dooley (1 h 41). Sur le Web : www.facebook.com/theatredutemple