La cathédrale Saint-Joseph dominant Nouméa, capitale de la Nouvelle-Calédonie. / Theo Rouby / AP

La Nouvelle-Calédonie va se prononcer, dimanche 4 novembre, sur son indépendance. Une procédure de vote décidée il y a plus de vingt ans, lors de la signature de l’accord de Nouméa, le 5 mai 1998.

Si le non à l’indépendance gagne – ce que les sondages prévoient à trois jours du vote –, la question de l’indépendance ne sera pas close pour autant : un deuxième référendum pourra être organisé dans les deux ans à la demande d’un tiers des membres du Congrès.

Comment les habitants de l’archipel se préparent-ils au vote ? Quelles conséquences aura-t-il sur l’avenir de la Nouvelle-Calédonie ? Eléments de réponses avec Claudine Wéry, notre correspondante sur place.

Lire l’éditorial du « Monde »  : Nouvelle-Calédonie : une souveraineté en gestation

Noumémé : Est-ce que l’ambiance est tendue sur place ?

Non, l’ambiance n’est pas tendue alors que nombre d’observateurs redoutaient que ce scrutin clivant cristallise les tensions. La campagne n’a été marquée que d’incidents mineurs, et le comité des « sages », mis en place à l’initiative d’Edouard Philippe pour prévenir tout dérapage, est très peu intervenu.

Il semble que c’est le soir du vote qui nourrit les inquiétudes, si des loyalistes défilent le long des baies de Nouméa en arborant des drapeaux bleu-blanc-rouge, exprimant leur victoire très probable de façon trop démonstrative et provocante.

Les partis politiques de tous bords ont appelé leurs militants à la sobriété.

Dim : Ne risque-t-on pas une polarisation encore accentuée des différentes provinces de la Nouvelle-Calédonie, entre une province Sud très « française » et des provinces Nord plus « kanak » ?

Effectivement, il est très possible que dimanche soir la province Sud ait voté massivement contre l’indépendance et que les deux autres provinces aient choisi l’indépendance. L’accord de Nouméa (1998) exclut cependant toute partition de l’archipel.

Alex : L’un des arguments des indépendantistes est que la Nouvelle-Calédonie est autonome financièrement. Est-ce exact ?

Non, la Nouvelle-Calédonie n’est pas indépendante financièrement.

La France y injecte chaque année 1,3 milliard d’euros pour 275 000 habitants. Cela dit, les recettes fiscales locales sont supérieures à ce montant. Le Caillou dispose d’un tissu industriel développé et, bien sûr, d’un quart des ressources mondiales de nickel. La chute des cours et l’entrée sur le marché de pays producteurs à bas coût depuis quelques années a cependant mis à mal l’industrie minière et métallurgique locale, qui se bat pour sa survie. L’opérateur historique du nickel calédonien, la société Le Nickel, filiale du groupe français Eramet, est en déficit depuis six exercices consécutifs.

La Nouvelle-Calédonie dispose d’énormes potentiels de développement économique (tourisme, pêche…) mais le nickel demeure une mono-industrie, qui a entravé la diversification économique.

Anna : Est-ce que les jeunes pas nés lors de l’accord de Nouméa se sentent eux aussi concernés par ce vote ?

L’abstention des jeunes est en effet une source d’inquiétude, notamment du côté indépendantiste. Il y a en Nouvelle-Calédonie un fort discrédit de la classe politique et les jeunes, ceux que l’on appelle « la génération Matignon » et qui n’ont pas vécu les événements, ne se reconnaissent pas dans les discours des dirigeants indépendantistes. Il n’y a pas de renouvellement de la classe politique en général et en particulier du côté du FLNKS, dont les ténors sont quasiment les mêmes depuis 30 à 40 ans.

Il y a les jeunes formés, qui aspirent au renouvellement des hommes et des idées, mais auxquels on laisse insuffisamment la parole et l’opportunité de prendre des responsabilités dans les états-majors politiques.

Il existe également une fraction de la jeunesse kanak qui est marginalisée et déchirée entre modernité et vie traditionnelle. En échec scolaire, délaissés par leurs parents et la société, ils sont à l’origine d’une hausse constante de la délinquance. Les mineurs commettent 25 % des délits en Nouvelle-Calédonie, un niveau supérieur à la Métropole. A la prison du Camp Est, à Nouméa, plus de 90 % des détenus sont des jeunes kanak.

Boris : Vous parlez à juste titre des jeunes qui se sont fait « confisquer la parole », mais ne pensez-vous pas que les femmes sont également les grandes oubliées ?

Il est vrai que les femmes kanak sont insuffisamment présentes dans le débat politique. Au sein de la société traditionnelle, les fonctions sociales sont réservées aux hommes. Au Sénat coutumier, où siègent les représentants des chefferies des huit aires coutumières kanak, il n’y a aucune femme.

Une femme kanak ne peut pas être propriétaire foncière, elle n’hérite pas de son mari et en cas de séparation d’un couple, les enfants appartiennent au clan du mari. Dans le statut civil coutumier, pour « divorcer » une femme doit d’abord obtenir l’accord des clans, dont la hiérarchie est masculine.

Pourtant, les femmes kanak sont un des moteurs de la décolonisation : elles réussissent mieux à l’école que les garçons, sont très présentes dans les associations et investies dans le développement local.

Les violences conjugales demeurent néanmoins un fléau en Nouvelle-Calédonie (une femme sur quatre), même s’il serait caricatural de dire que le phénomène ne concerne que les populations kanak.

Métro : Est-ce que ce vote n’est pas antidémocratique dans le sens ou des habitants calédoniens ne peuvent pas participer alors qu’ils peuvent résider sur l’ile depuis plus de dix ans ?

Le corps électoral est le nœud gordien du dossier calédonien. La Nouvelle-Calédonie a été avec l’Algérie la seule colonie de peuplement de l’empire colonial français et dans les années 1970, l’ambition de la France a été de noyer la revendication d’indépendance en rendant les Kanak minoritaires dans leur pays, par le biais d’une importante immigration de métropole, mais aussi de Wallis et Futuna ou de Tahiti.

La base de l’accord de Nouméa a été de définir une « population concernée », c’est-à-dire des personnes ayant suffisamment d’intérêts matériels et moraux en Nouvelle-Calédonie pour pouvoir légitimement se prononcer sur son avenir. Pour être autorisé à participer au référendum de dimanche, il faut notamment pouvoir justifier d’une résidence continue dans l’archipel depuis au moins le 31 décembre 1994.

Shinzo : Pensez-vous que les métropolitains comprennent réellement les différents enjeux lors de ce référendum ?

Non, je ne le crois pas. Ce qui se passe en Nouvelle-Calédonie est un processus inédit de décolonisation. La France a décidé lors de l’accord de Nouméa d’accompagner la Nouvelle-Calédonie sur la voie de la pleine souveraineté. Cela s’est traduit par un transfert progressif de nombreuses compétences (enseignement secondaire, commerce extérieur, sécurité civile, droit civil…) assorti d’une compensation financière. Aujourd’hui, la Nouvelle-Calédonie est compétente dans tous les domaines, à l’exception du régalien (défense, justice, ordre public, monnaie, affaires extérieures).

L’audiovisuel, le contrôle de légalité et l’enseignement supérieur sont des compétences qui auraient pu être transférées de l’Etat au gouvernement local avant 2018, mais faute de consensus politique entre la droite non indépendantiste et les indépendantistes kanak, elles sont toujours en débat. Il ne faut pas considérer l’indépendance de la Nouvelle-Calédonie comme une rupture avec la France, à l’instar de ce qui a pu se passer en Algérie ou au Vanuatu. Le projet du FLNKS est une indépendance en partenariat avec la France, qui pourrait prendre la forme d’un Etat associé.

Nouvelle-Calédonie : la dernière colonie française
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