Référendum en Nouvelle-Calédonie : l’espoir d’un destin commun
Référendum en Nouvelle-Calédonie : l’espoir d’un destin commun
Par Patrick Roger (Nouméa (Nouvelle-Calédonie), envoyé spécial)
Les électeurs du territoire doivent se prononcer dimanche pour ou contre l’indépendance. Une revendication en perte de vitesse depuis trente ans.
Lors du meeting du Front de libération nationale kanak et socialiste, à Nouméa,le 30 octobre. / THEO ROUBY / AFP
Pour De Gaulle, qui raffolait des formules à l’emporte-pièce, la Nouvelle-Calédonie était « une bande de terre peuplée par une bande de cons ». Après des années d’affrontements meurtriers, la poignée de main historique entre Jacques Lafleur et Jean-Marie Tjibaou scellant les accords de Matignon du 26 juin 1988, prolongés par l’accord de Nouméa du 5 mai 1998, avait fait naître l’espoir d’une nation en construction, intégrant toutes les communautés.
Trente ans après, à la veille de la consultation du 4 novembre par laquelle les électeurs vont devoir répondre à la question « Voulez-vous que la Nouvelle-Calédonie accède à la pleine souveraineté et devienne indépendante ? », force est de reconnaître que cet espoir a été déçu. Le « vivre ensemble » ressassé à satiété dans les discours politiques apparaît à bien des égards comme une inaccessible chimère tant restent fortes les inégalités sociales et sociologiques. Sans que les responsables à la tête du « pays » ne fassent preuve non plus d’une réelle volonté de les combattre.
Nouméa, la « capitale », est l’éclatant symbole de ces mondes parallèles, qui se côtoient sans véritablement se mêler. Les quartiers huppés du sud de la ville comptent moins de 5 % de Kanak quand, dans les quartiers sociaux de Kaméré, Ducos ou Montravel, sept à huit habitants sur dix sont kanak. Il reste un long chemin à parcourir pour donner un sens à la mixité sociale.
Les inégalités persistent
Pour autant, il serait vain de nier les progrès accomplis sur la voie de la réconciliation, l’émergence de valeurs partagées et l’acceptation d’un destin commun, après les déchirures des années 1980. Cette prise de conscience se traduit par un phénomène notable : lors du dernier recensement de 2014, en sus des quelque 23 000 métis déclarés, plus de 20 000 personnes se sont définies comme « Calédonien ». Une progression de 60 % en cinq ans. Ainsi, 15 % de la population du territoire ne se classent dans aucune communauté, kanak, européenne ou autres.
L’essor de ce sentiment d’appartenance calédonienne est particulièrement sensible chez les jeunes, qui ont fréquenté les mêmes établissements scolaires, pratiqué les mêmes activités, suivi les mêmes formations, même si, là aussi, persistent d’évidentes inégalités. Cet enracinement de la citoyenneté calédonienne, au-delà de l’appartenance communautaire qui n’a pas disparu pour autant, oblige les dirigeants politiques à élaborer, au lendemain du référendum, un projet qui rassemble et non qui divise.
Les dirigeants non-indépendantistes, dont l’appel à voter non à l’accession à la pleine souveraineté a toutes les chances d’être majoritairement suivi, y sont-ils résolus ? Cela paraît loin d’être acquis.
« Une nouvelle forme de colonisation »
Le fait identitaire n’en demeure pas moins un puissant ciment de la communauté kanak, qui représente 39 % de la population calédonienne (275 000 habitants). La « pleine reconnaissance de l’identité kanak » était un des piliers de l’accord de Nouméa de 1998. Si d’incontestables progrès ont été accomplis en vingt ans – établissement d’un Sénat coutumier, Académie des langues kanak, Agence de développement de la culture kanak (ADCK), Centre culturel Tjibaou, prise en compte de la langue et de la culture kanak dans l’enseignement –, nombre de Kanak jugent que la domination économique et culturelle exercée par le modèle européen n’intègre pas les dimensions de la pluriculturalité.
« Depuis vingt ans, ce qui a changé, c’est pour partie le regard sur la civilisation kanak, expliquait au Monde Emmanuel Tjibaou, le directeur de l’ADCK. Mais, si la Nouvelle-Calédonie a avancé sur la voie de l’affirmation d’un “destin commun”, cela ne s’est pas fait de manière consciente et concertée. En réalité, la prise en compte de l’identité kanak, du métissage, de la vie commune, surtout en ville, des transformations qui doivent accompagner le rapport avec la culture autochtone a peu évolué. Les Kanak, les Mélanésiens de manière générale, sont contraints et forcés d’adopter le mode de vie occidental. C’est une forme d’aliénation déguisée. Sur ce plan-là, la reconnaissance se heurte à la réalité des faits. Le brassage, bien sûr, a eu lieu. Il n’y a qu’à voir le nombre de mariages entre les communautés. Mais le politique n’avance pas au rythme de la société. Il est en retard. »
Le rattrapage et le rééquilibrage économiques engagés à partir des accords de Matignon se sont accompagnés d’un déplacement des populations et le métissage des communautés d’une confrontation des cultures parfois vécue comme un déchirement et une perte de repères. Si la population de la Nouvelle-Calédonie a crû de plus de 80 000 habitants en vingt ans, cette progression est très différenciée.
La province Sud, qui regroupe à elle seule près de 200 000 habitants, a enregistré une croissance démographique de 65 000 habitants, dont 23 000 à Nouméa, qui frôle à présent 100 000 habitants. La province Nord a gagné 9 000 habitants et dépasse à présent 50 000. En revanche, la population des îles Loyauté a reculé de 2 600 habitants et est passée sous la barre des 20 000.
Autrement dit, une large partie de la population mélanésienne est aujourd’hui urbanisée et a adopté, peu ou prou, le mode de vie et de consommation occidental. Ce que les indépendantistes considèrent comme « une nouvelle forme de colonisation ».
« En trente ans, on est passé de la culture kanak niée à la culture kanak asservie, estime Emmanuel Tjibaou. Dans nos comportements, notre alimentation, notre mode de vie, nous sommes toujours colonisés. Et, du coup, nous nous retrouvons en contradiction avec nos propres références. Ce n’est pas comme cela qu’on construit un avenir commun. »
Lors du meeting du Front de libération nationale kanak et socialiste, à Nouméa,le 30 octobre. / THEO ROUBY / AFP
La volonté de reconnaissance identitaire reste donc une profonde aspiration dans la population kanak mais elle ne se conjugue plus nécessairement avec la revendication de l’indépendance. Le rêve indépendantiste n’est pas mort, mais il s’est considérablement affaibli. Qu’est-ce qui a changé en trente ans ? Les indépendantistes, qui participent au gouvernement collégial (5 membres sur 11), comptent 25 membres sur 54 au Congrès, dirigent les provinces Nord et des îles Loyauté et 25 communes sur 33, n’ont pas su insuffler un espoir nouveau, donner une crédibilité au projet d’une nation indépendante.
Ils avaient tout misé sur la stratégie du nickel, avec l’implantation d’une usine dans la province Nord. L’usine a bien vu le jour et a tardé à produire des résultats et l’effondrement du cours du nickel n’a pas permis d’atteindre les objectifs attendus. La Nouvelle-Calédonie n’a pas réussi à développer un modèle favorisant une souveraineté alimentaire et énergétique, même si quelques expérimentations commencent à voir le jour.
Interrogations lancinantes
Les dirigeants indépendantistes ne sont pas exempts de reproches. Depuis vingt ans, ils ont consacré une bonne partie de leur énergie à négocier pied à pied les conséquences institutionnelles de l’accord de Nouméa. Aujourd’hui, au sein même de leur communauté, et surtout chez les jeunes, ils apparaissent comme ayant été incapables de passer le relais aux jeunes générations. Ce sont toujours les mêmes ou presque qui sont aux commandes du mouvement indépendantiste.
Enfin, il ne faut pas négliger les inquiétudes d’une partie de la population mélanésienne sur les conséquences d’une sécession avec la France, en termes de protection sociale, d’accès aux études ou d’émancipation et de droit des femmes dans le nouvel Etat. Des interrogations qui reviennent de manière lancinante dans les réunions publiques.
C’est le paradoxe des accords de Matignon et de Nouméa, négociés pour ouvrir le processus de décolonisation. En engageant le rattrapage et le rééquilibrage du territoire, en lui permettant d’accéder à un nouvel essor économique, en lui octroyant des compétences étendues exercées tant par le gouvernement et le Congrès du « pays » que par les provinces, ils ont fait reculer la perspective de l’indépendance, estompé la force de la revendication indépendantiste. Le résultat du référendum de dimanche en sera très probablement la traduction. Il faudra alors inventer un après qui donne un réel contenu à ce fameux « vivre ensemble ».
Nouvelle-Calédonie : la dernière colonie française
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