A Madagascar, Pierrot ira voter le ventre vide
A Madagascar, Pierrot ira voter le ventre vide
Par Laurence Caramel (Lagniry, Madagascar, envoyée spéciale)
Madagascar, un nouveau départ ? (3/5). Près de 1,2 million de personnes sont victimes de la sécheresse dans le sud de l’île et une partie souffre de malnutrition aiguë.
Dans le sud de Madagascar, les femmes de Lagniry cherchent de l’eau dans des cavités qu’elles creusent dans le lit asséché de la rivière. / Laurence Caramel
Pierrot Rajaonarivelo est prêt. Mercredi 7 novembre, il ira voter pour Andry Rajoelina dont il arbore le tee-shirt orange frappé d’une photo. Pourquoi lui et pas un autre parmi les trente-cinq candidats qui se présentent pour succéder à Hery Rajaonarimampianina ? Le chef de Lagniry, un village perdu au milieu des terres arides de la région d’Atsimo-Andrefana, dans le sud de Madagascar, a un argument imparable : « Quand il était président [2009-2013], il pleuvait tout le temps. » Et d’ajouter : « Lui n’est pas un vieux politicien ». Façon de dire que de ceux-là, il n’y a rien à attendre. Son village n’a jamais rien reçu. Sauf une fois, « une distribution de cartables et de stylos ». « C’était en 1999 », précise-t-il sans hésiter. L’événement est resté gravé à tout jamais dans sa mémoire.
De la pluie ? Rien ne serait plus précieux. Depuis la sécheresse déclenchée par El Niño en septembre 2015, il n’est quasiment rien tombé dans cette région enclavée, loin de l’attention de la capitale. Deux récoltes déjà ont été perdues et, à regarder le ciel bleu azur à peine traversé de légers nuages, on se met à redouter le pire. « S’il ne pleut pas, nous allons mourir », glisse comme une évidence le notable aux traits creusés sans se déparer de son sourire. Les réserves de semence de maïs et de lentilles sont presque vides et, dans les champs, les tiges de manioc se sont asséchées. Le bétail a été vendu ou volé par les Dahalo, ces bandits de grands chemins qui sillonnent le sud de l’île.
Se nourrir de tubercules sauvages
Depuis deux ans, les 1 600 habitants de Lagniry se nourrissent de tubercules sauvages. Un aliment « amer et sans goût, juste bon pour les cochons », décrit une femme en se moquant dignement de son sort. Chaque jour, les mères munies de leur bêche et d’un panier s’éloignent du village pour creuser le sol durci à la recherche de ces racines brunes pas plus grosses qu’un gland dont dépend leur survie. Puis elles les pilent dans leur mortier en bois et les font bouillir pour les servir le midi et le soir à leur famille. Le matin, on ne mange pas.
Le jardin potager s’est endormi et seuls quelques plans de carottes, de choux et de brèdes tentent de sortir de terre avec l’eau puisée dans la rivière qui, elle aussi, ne ressemble plus qu’à une grande étendue désolée encaissée entre deux rives témoins de leur malheur. Pour avoir de l’eau, il a fallu creuser au milieu du lit de larges trous dans lesquelles les femmes descendent à la rencontre d’une petite flaque qu’elle puise à l’écuelle pour remplir leur seau. Quand il est vide, le puits de fortune est déplacé en amont de la rivière.
En octobre, la période de soudure a officiellement commencé dans l’attente de précipitations pour assurer une récolte de manioc qui ne donnera qu’au mois de mars. Avec elle ont repris les distributions de vivres du Programme alimentaire mondial (PAM) : 30 kg de riz ou de maïs, 4,5 kg de légumineuses et 2,6 litres d’huile pour une famille de cinq personnes.
Mais, alors que la situation alimentaire se dégrade, l’organisation est elle-même confrontée à un manque de financement des pays donateurs chargés d’assurer son budget. En l’espace de quelques mois, la proportion de la population souffrant de malnutrition aiguë est passée de 50 % à 65 % dans le district de Betioky auquel est rattaché le village, selon les résultats préliminaires de la dernière enquête pilotée par le gouvernement.
« Des enfants dénutris et affaiblis »
Au total, près de 1,2 million de personnes sont victimes de la sécheresse dans le sud de Madagascar. « La situation est déjà terrible. Nous voyons les populations souffrir et nous sommes contraints de tailler dans nos interventions », se plaint, sans cacher sa colère, Etienne Tchecounnou, le responsable de l’antenne de Tuléar qui gère les missions dans la zone. « Nous devons réduire les cantines scolaires de moitié alors qu’elles apportent aux enfants le seul repas équilibré de la journée. » Autre dilemme : faut-il secourir les 227 villages qui ont besoin d’assistance au risque de devoir tous les abandonner d’ici deux mois ou dès maintenant en sélectionner un nombre restreint ? En l’état de ses ressources, le PAM, qui reste le principal acteur des actions d’urgence contre la faim, ne dispose que 30 % du budget nécessaire jusqu’en mars.
Dans la petite case de terre rouge transformée en relais santé, Lala a encore de quoi distribuer des rations de Plumpy’Sup, un complément nutritionnel donné aux enfants pour compenser les carences de leur alimentation et limiter les séquelles sur leur développement. Deux fois par mois, l’agent de santé communautaire pèse, mesure le périmètre brachial des bambins avant de délivrer son ordonnance à raison d’une ration par jour. « Les enfants ne sont pas spécialement malades, mais ils sont dénutris et affaiblis. J’envoie les cas les plus graves au centre de santé de base qui se trouve à 18 km », explique-t-elle tout en tançant avec autorité une mère dont l’enfant a maigri.
A l’ombre du grand tamarinier, chacun attend son tour. Pierrot fait le pitre pour amuser les enfants et les somme de bien apprendre à l’école pour ne pas être comme lui, un analphabète qui ne peut même pas parler en français à un étranger. L’école, ou plutôt ce qui en fait office, servira de bureau de vote mercredi. « La Banque africaine de développement avait dit qu’elle nous construirait un bâtiment. Les ouvriers ont travaillé pendant trois mois. Puis ils ne sont jamais revenus et l’école n’a jamais été terminée. » A Lagniry, l’avenir de 380 enfants et de leur unique institutrice se joue à ciel ouvert dans une grande carcasse de parpaings gris.
Sommaire de notre série Madagascar, un nouveau départ ?
A l’occasion de la présidentielle malgache, dont le premier tour doit se dérouler le mercredi 7 novembre, Le Monde Afrique propose une série de reportages pour raconter les enjeux de ce scrutin et le quotidien des Malgaches désillusionnés, mais dont certains ont néanmoins décidé de se dresser contre la faillite de leur pays.
Présentation de notre série Madagascar, un nouveau départ ?
Episode 1 A Madagascar, Hery, un président isolé au bilan terni par la corruption
Episode 2 « Le candidat qui a le plus d’argent peut s’offrir une visibilité » dans les médias malgaches