Les ingénieurs au défi de la « nouvelle révolution industrielle »
Les ingénieurs au défi de la « nouvelle révolution industrielle »
Par Jean-Claude Lewandowski
Intelligence artificielle, réalité augmentée, rupture organisationnelle… L’émergence d’usines d’un nouveau type nécessite des ingénieurs généralistes « à la française », toujours plus polyvalents.
Etudiante de l’école d’ingénieurs Grenoble INP. / GRENOBLE INP via Campus
Piloter les usines, mais aussi les concevoir et les construire… Telle est, traditionnellement, l’une des principales missions de l’ingénieur. Or cette mission connaît un bouleversement majeur avec l’émergence de « l’industrie du futur ». Beaucoup y voient même une « nouvelle révolution industrielle ».
Le concept, apparu il y a une dizaine d’années, repose sur un concentré de technologies récentes et d’innovations (intelligence artificielle, robotique, réalité augmentée…), doublé d’un mode d’organisation en rupture. De quoi tout bousculer : le fonctionnement même de l’usine, les relations entre ses parties prenantes, son modèle économique, et même le clivage entre produits et services.
Ce qui caractérise cette usine d’un nouveau type ? D’abord son extrême agilité. Elle doit être évolutive, s’adapter à différents aléas (techniques, financiers…), épouser les dernières innovations. « Les machines-outils sont souvent dédiées à plusieurs tâches, et sont aisément reconfigurées », note ainsi Xavier Lorca, directeur du Centre de génie industriel de l’IMT Mines d’Albi. Ensuite, tout est interconnecté : l’usine est reliée au concepteur, à ses fournisseurs, ses clients… Ce qui permet notamment de personnaliser les produits. Dans ce contexte, la gestion des flux constitue une autre priorité.
« Usine 4.0 »
Bien sûr, le numérique joue un rôle clé. Collecte de données, intelligence artificielle, aide à la décision : tout le process industriel est assisté, complété et régi grâce aux « data ». Au point que certains parlent d’« usine 4.0 ». « Chaque usine possède un “jumeau numérique”, virtuel, constamment enrichi en nouvelles données, qui permet la simulation », explique par exemple Jacques Lamothe, directeur recherche-innovation à l’IMT Mines d’Albi.
Mais la technologie ne fait pas tout. La place de l’homme reste primordiale, comme le souligne un « livre blanc » intitulé « L’humain au cœur de l’industrie du futur », publié par le pôle de compétitivité EMC² et Altran.
La liste est longue des compétences nécessaires pour devenir un acteur de cette industrie de demain. Au-delà de l’inévitable bagage dans le numérique, l’ingénieur doit afficher de robustes notions de logistique. Plus largement, il doit avoir une bonne compréhension du contexte – sociétal, environnemental, voire géopolitique – et de ses enjeux. D’où l’apport du management et des sciences humaines. Ajoutons une culture générale étendue, en lien avec la stratégie d’entreprise. « L’industrie du futur fait collaborer de nombreux métiers très spécialisés. Il y faut une grande maîtrise de l’intelligence collective et de la complexité », ajoute Bernard Ruffieux, directeur de Grenoble INP-Génie Industriel.
Plus que jamais, l’ingénieur doit donc être un homme-orchestre, doué d’une grande polyvalence. « C’est le terrain de jeu idéal pour l’ingénieur généraliste “à la française” », observe Olivier Paccaud, directeur des études à l’Eigsi (Ecole des ingénieurs en génie des systèmes industriels) de La Rochelle.
Les ingénieurs formés à cette problématique sont très demandés – y compris à l’international. « Ils n’ont aucun mal à trouver un emploi, et peuvent même choisir entre plusieurs postes. Ensuite, à eux de construire leur parcours », constate Xavier Lorca. Un ingénieur débutant pourra intervenir en support au chef de projet, sur du suivi ou des questions de méthodologie ; ou au contraire apporter une expertise technique spécifique.
Aussi les écoles mettent-elles les bouchées doubles pour former ces profils. A Albi, un bon tiers des diplômés sortent des filières génie industriel ou systèmes d’information. L’école a aussi monté une chaire (« Ioméga ») sur le sujet avec le laboratoire pharmaceutique tarnais Pierre Fabre, et créé un laboratoire de recherche dédié à la chaîne d’approvisionnement avec un cabinet de conseil, Agiléa.
A Grenoble INP, plusieurs « majeures » permettent d’aborder les différentes facettes du métier, expose Bernard Ruffieux :
« Nos élèves doivent savoir travailler vite et de façon interdisciplinaire. Il n’est pas rare que des enseignants de différentes matières interviennent dans le même cours. Nous avons également renforcé l’enseignement du management, des sciences cognitives, de la psychologie. »
Internet des objets, impression 3D, big data
Coup d’accélérateur aussi à l’Eigsi de La Rochelle, qui offre désormais à 40 élèves une « dominante » rebaptisée « Entreprise du futur », sur deux semestres. Au menu, une approche « globalisante », intégrant aussi bien la cyber-sécurité que les plateformes collaboratives ou le cloud… D’autres thématiques, comme l’Internet des objets, l’impression 3D ou le big data, ont été étoffées. « Nous ajoutons une forte dimension humaine, avec des enseignements sur l’interculturel, le travail en équipe, la créativité et l’innovation », précise Olivier Paccaud.
La même approche innovante commence à toucher un autre secteur industriel, le génie civil et la construction et les écoles qui y préparent. « Dans nos métiers, l’industrie du futur en est à ses débuts. Elle est surtout présente au niveau de la recherche », indique Sébastien Rémond, enseignant-chercheur en génie civil et environnemental à l’IMT Lille-Douai :
« Mais nous l’intégrons déjà à nos programmes, par exemple avec des cours sur la fabrication additive (impression 3D) pour certains matériaux. »
Même constat à l’ESITC (Ecole supérieure d’ingénieurs des travaux de la construction) de Caen, où l’on observe que « les industriels expriment des attentes nouvelles ». Pour y répondre, l’école offre une large palette d’enseignements : option de 5e année « bâtiments techniques et industriels », formation au BIM (modélisation des données du bâtiment), cours sur les méthodes de production, le « lean management » ou le développement durable…
« Avec l’industrie du futur, on retrouve les fondamentaux du métier d’ingénieur, dans une démarche de gestion de projet, résume Jérôme Lebrun, le directeur de l’ESITC. Cela nécessite à la fois l’intégration de solutions techniques variées, la prise en compte des besoins du client, et surtout une vision globale des enjeux. »
Des suppléments et un salon du « Monde », les 10 et 11 novembre, pour choisir sa grande école
La 13e édition du Salon des grandes écoles (SaGE) aura lieu samedi 10 et dimanche 11 novembre à Paris, aux Docks, Cité de la mode et du design (13e arrondissement), de 10 heures à 18 heures. Il est précédé de la publication de nos suppléments dédiés aux écoles d’ingénieurs (dans Le Monde daté du mercredi 7 novembre et en ligne en suivant ce lien ) et aux écoles de commerce (dans Le Monde daté du jeudi 8 novembre et sur Le Monde.fr Campus ici).
Plus de cent cinquante écoles de commerce et d’ingénieurs, IAE, IEP, écoles spécialisées, prépas seront représentés lors du salon, permettant d’échanger sur les différents programmes et leur accessibilité (post-bac, post-prépa ou après un bac +2, +3 ou +4). Lycéens, étudiants et parents pourront assister à des conférences thématiques animées par des journalistes du Monde Campus. Une équipe de vingt « coachs » sera à leur disposition pour les conseiller, les aider à définir leur projet d’orientation, préparer les concours, rédiger leur CV...
L’entrée du SaGE est gratuite, la préinscription en ligne est conseillée pour accéder plus rapidement au Salon. Liste des exposants et informations pratiques sont à retrouver sur le site Internet du SaGE.