Les enfants d’aujourd’hui disposent déjà d’une « empreinte numérique » dès leur naissance. Et parfois même avant. / Children's commissioner

« En moyenne, à l’âge de treize ans, les parents ont publié 1 300 photos et vidéos de leur enfant sur les réseaux sociaux. » Ce chiffre, issu d’une étude publiée au printemps par la banque Barclays, a été repris, jeudi 8 novembre, par la commission britannique de protection de l’enfance (Children’s Commissioner), dans un rapport alarmant sur les risques liés à la collecte des données en ligne concernant les enfants. Même si ces derniers n’ont pas encore de comptes sur les grandes plates-formes numériques.

« Nous produisons de plus en plus de données personnelles », note dans le rapport Anne Longfield, à la tête de l’organisme, qui a réalisé son rapport à partir d’échanges avec des représentants du monde de l’entreprise, de la recherche et des autorités.

« C’est vrai pour chacun d’entre nous. Mais la différence pour nos enfants est que cela commence au moment où leurs parents mettent en ligne fièrement la première photo de leur bébé sur les réseaux sociaux. (…) Certaines de ces empreintes numériques commencent même avant la naissance, avec de nombreux parents publiant des échographies pour annoncer une grossesse. »

Les données produites explosent quand l’enfant se met lui aussi à fréquenter les réseaux sociaux : le rapport évoque 70 000 publications cumulées par personne en moyenne à l’âge de 18 ans. Mais ces plates-formes ne sont pas les seules à récolter des données. Les objets connectés, comme les enceintes intelligentes, les babyphones équipés de caméras, les jouets connectés ou les dispositifs permettant de suivre la position géographique de l’enfant y participent aussi. Tout comme, souligne le rapport, les écoles ou encore les systèmes de santé, qui détiennent également des données sur les enfants.

« Nous devons tous faire une pause et réfléchir »

Avec quelles conséquences ? C’est la grande question que soulève le texte de la commission britannique de protection de l’enfance. « Nous n’avons aucune idée de ce que toutes ces informations auront comme conséquences sur la vie de nos enfants », met en garde Anne Longfield. « Nous devons tous faire une pause et réfléchir. »

Le rapport esquisse, néanmoins, les risques qui se profilent. A commencer par les plus évidents, déjà bien connus des parents et des enfants, se félicitent les auteurs du document, comme l’exploitation de ces données par un prédateur pour entrer en contact avec un mineur.

Mais cette collecte de données d’enfants « soulève aussi d’importantes questions sur leur liberté et leur indépendance », précisent-ils, expliquant que cette « normalisation de la surveillance » pourrait éventuellement conduire les enfants à pousser plus loin les transgressions qui font partie de leur développement. Et les parents à en attendre toujours plus de leurs enfants, dont ils pourraient mesurer toutes leurs « performances », bien au-delà des traditionnelles évaluations scolaires.

Un impact sur les opportunités à long terme

Mais surtout, le rapport insiste sur un risque « bien moins connu » :

« Les données personnelles recueillies pendant l’enfance pourraient être utilisées pour façonner le vécu d’un individu et ses opportunités sur le long terme – pour le meilleur et pour le pire. »

Ses auteurs insistent sur la façon dont des algorithmes sont aujourd’hui capables, en combinant des données sur un individu, parfois en apparence anodines, d’en déduire un profil pointu (exact ou non) et de prendre des décisions le concernant. « Est-ce que des données sur les capacités linguistiques et les performances scolaires d’un enfant de quatre ans pourraient jouer un rôle dans leur sélection à l’université ? », interroge le rapport.

« Est-ce que les habitudes de consommation de leurs parents pourraient avoir un impact sur les produits et les services qui leur seront proposés quand ils seront visés par la publicité ciblée ? Est-ce que leurs données de santé affecteront leur accès à une assurance dans le futur ? »

« En clair, les identités numériques des enfants, créées aujourd’hui, pourraient avoir un impact sur leurs vies pendant de nombreuses années », avertissent les auteurs du rapport. « En plus des injustices de base liées aux événements de l’enfance qui déterminent les opportunités de la vie adulte, il y a une autre injustice, qui est que certaines de ces techniques sont des instruments mal conçus, qui ne sont pas capables d’établir l’ensemble de ce qui représente une personne et son potentiel. »

Conseils aux parents

Si la commission de protection de l’enfance se félicite des règles encadrant la collecte des données des enfants imposées par le nouveau règlement européen sur les données personnelles (RGPD), elle estime que les conversations doivent encore se poursuivre.

« Ce qui est important, c’est d’avoir une meilleure compréhension du volume de données collectées sur les enfants. C’est à cette condition que les législateurs pourront décider s’il faut mettre en place davantage de protections. »

Les auteurs du rapport émettent déjà quelques recommandations. A l’attention des autorités britanniques, qui « devraient réfléchir à l’obligation, pour ceux qui utilisent des outils d’aide à la décision, d’être plus transparents sur les algorithmes qu’ils utilisent et les données fournies, si elles proviennent de mineurs ». A celle des entreprises collectant des données d’enfants, qui « devraient expliquer leurs conditions d’utilisation dans un langage compréhensible des enfants ». Mais aussi aux parents, à qui ils conseillent, par exemple, de limiter la publication d’images de leurs enfants et de changer le mot de passe par défaut des objets connectés qu’ils utilisent.