Pour freiner la déforestation, la France s’engage à réduire ses importations de produits agricoles
Pour freiner la déforestation, la France s’engage à réduire ses importations de produits agricoles
Par Martine Valo
Il faut « appliquer les règles du commerce équitable à grande échelle », explique le ministre de l’écologie François de Rugy, qui présente mercredi 14 novembre sa stratégie nationale, et espère convaincre le reste de l’Europe
Vue aérienne de la forêt amazonienne dont l’une des parties a été déforestée illégalement, le 25 mai 2012 près du parc national d’Itaituba, au Brésil. / Nacho Doce / REUTERS
Pour répondre à la consommation des pays développés, les contrées qui le sont moins sacrifient sans compter leurs écosystèmes naturels. Comment mettre un terme à un phénomène grandissant qui participe aux émissions de gaz à effet de serre, accélère la perte de biodiversité et l’érosion des sols ? L’affaire est complexe, aussi ce ne sont pas moins de cinq ministres qui signent la stratégie nationale de lutte contre la déforestation importée (SNDI) rendue publique mercredi 14 novembre : affaires étrangères, économie, agriculture, recherche et bien sûr transition écologique et solidaire. L’objectif est de « mettre fin d’ici à 2030 à la déforestation causée par l’importation de produits forestiers ou agricoles » non durables.
« Il faut être lucide et regarder la réalité en face : dans le monde, 129 millions d’hectares de forêt ont été détruits entre 1990 et 2015. C’est énorme !, rappelle François de Rugy, qui a repris ce dossier aux multiples volets. L’essentiel de la déforestation est dû à l’extension de l’agriculture et à l’exportation, pas à l’urbanisation. Il faut une démarche partagée entre Etats producteurs et consommateurs, poursuit le ministre. La France accepte en tant qu’importateur – disons-le de pays riche –, de faire face à ses responsabilités. » Elle est la première à se lancer dans cette offensive globale au nom de la santé de la planète.
Politique d’achats publics zéro déforestation
Alors que l’attention s’est longtemps focalisée sur les ravages des plantations de palmiers à huile en Asie, les dix-sept mesures de la SNDI prennent également en compte d’autres cultures qui gagnent au détriment des forêts : soja, bœuf, cacao, hévéa, bois. Le gouvernement annonce d’icià 2020 un label « produit sans déforestation » élaboré avec des experts, les entreprises concernées, des ONG. « Nous ne voulons pas d’effet d’image, mais de vraies garanties sur la traçabilité et sur les conditions de production dans des pays lointains », promet François de Rugy. L’Etat devrait montrer l’exemple avec une politique « d’achats publics zéro déforestation à l’horizon 2022 ».
Une plate-forme nationale dédiée à la lutte contre la déforestation devrait rassembler ONG, pouvoirs publics et entreprises afin d’aider ces dernières dans leur analyse de leurs chaînes d’approvisionnement. Quitte à les alerter de risques de fraude en s’appuyant sur les données d’importation issues des douanes et de suivi satellite du couvert boisé. En finir avec le défrichement sauvage nécessite par ailleurs d’aider les pays producteurs à développer des cultures durables. L’Agence française de développement doit consacrer 60 millions d’euros par an pendant cinq ans à ce type de projet, voire à du reboisement. « Ce n’est qu’un début. Je souhaite qu’à terme on puisse avoir de nouveaux outils internationaux de financement dans le cadre de la compensation carbone, annonce le ministre. Il s’agit en somme d’appliquer les critères du commerce équitable, mais à grande échelle. »
Voilà pour l’esprit. La mise en œuvre ne s’annonce pas de tout repos.
« On sait qu’il y a des lobbys puissants qui vont essayer de freiner tout contrôle, toute démarche volontaire de certification, de faire en sorte que rien ne change. Mais, désormais, les citoyens veulent en savoir plus sur ces questions et l’expriment à travers leurs associations, le débat démocratique et dans leurs actes d’achat – la “consommaction” est devenue une réalité. Notre rôle de puissance publique, portée par cette volonté, est de créer les conditions d’une dynamique de transformation qui ne se fera pas en un jour. »
Reste à convaincre le reste de l’Europe à se joindre au mouvement. Faute de quoi cette philosophie vertueuse risque d’avoir bien du mal à s’immiscer dans les grands accords de commerce internationaux. « Nous avons négocié pendant des mois une directive européenne qui limitera jusqu’en 2023, puis éliminera progressivement d’ici à2030, l’incorporation dans les agrocarburants de matières premières qui ont un impact direct et même indirect sur la déforestation, confie le ministre de la transition écologique et solidaire. L’initiative, qui devrait aboutir en février 2019 avec la définition de critères par la Commission européenne, vise clairement l’huile de palme, dont nous voulons plafonner les importations. Car celle-ci est certes moins chère et efficace, mais on ne peut pas régler le problème des énergies fossiles en aggravant la déforestation et le bilan carbone. »
Néanmoins, la raffinerie d’agrocarburants de Total à la Mède (Bouches-du-Rhône) n’est nullement remise en cause. C’est sans doute l’élément le plus propice aux critiques des ONG, qui dénoncent déjà une SNDI reposant essentiellement sur la bonne volonté des acteurs, sans évoquer de mesures contraignantes. Les cultivateurs français d’oléagineux qui avaient manifesté en juin s’en inquiètent aussi. Après négociations, Total s’est engagé à augmenter la part de son approvisionnement en autres huiles que celle de palme de 25 % à 50 %. « Au-delà, l’équilibre économique de la Mède serait compromis, la bioraffinerie fermerait », conclut le ministre.