« Sami, une jeunesse en Laponie » : perdre son identité pour mieux se trouver
« Sami, une jeunesse en Laponie » : perdre son identité pour mieux se trouver
Par Thomas Sotinel
Entre roman de formation et peinture d’une époque trouble, la réalisatrice Amanda Kernell évoque le sort méconnu des Sami en Suède au début du XXe siècle.
Le titre français, empreint d’une certaine gaucherie (« sami » étant le terme revendiqué par ceux que l’on appelle les Lapons – exonyme considéré comme porteur d’une connotation péjorative –, pour être cohérent, il faudrait donc également désigner leur territoire Sapmi, son nom officiel en langue same), reflète les travers de ce premier long-métrage, film à thèse qui illustre un épisode méconnu – surtout chez nous – de l’histoire européenne. Mais il ne dit rien de sa force, de sa beauté. Sur les pas pressés de l’héroïne qui fuit sa communauté, la jeune réalisatrice Amanda Kernell, elle-même d’origine sami, trace un itinéraire simple et brutal.
En un prologue lourdement explicatif, elle énumère les enjeux comme on pose un problème arithmétique. En Suède, de nos jours, une vieille dame accepte de mauvaise grâce d’accompagner son fils et sa fille à des funérailles dans le nord du pays. Acariâtre, butée, elle éteint l’autoradio quand en sortent des chants sami, multiplie les remarques péjoratives à l’endroit de cette communauté. L’enterrement est celui de la sœur de « la » Christina, la renégate, il est célébré en sami et, dans l’église, les fidèles, vêtus du costume traditionnel, appellent la vieille dame Elle Marja. Elle reste insensible à leurs témoignages d’amitié, à l’évocation des souvenirs communs. On peut tracer une croix en face de chaque item : le fossé entre cultures suédoise et sami, l’appropriation ou le rejet d’une identité, la possibilité de changer de personnalité au fil des décennies.
Après ces prolégomènes filmés à grands traits, le film à proprement parler prend son envol, soixante-dix ans plus tôt, au même endroit, avant que ce lieu soit sillonné de routes, alimenté en électricité. A peine entrée dans l’adolescence, Elle Marja (Lene Cecilia Sparrok) oppose au monde une silhouette un peu massive, un regard lucide. Avec sa jeune sœur, Njenna (Mia Erika Sparrok), elle est envoyée en pension dans une petite école où une institutrice blonde dispense aux enfants sami un enseignement au rabais, dont les rations sont calculées en fonction de l’intelligence que la science suédoise prêtait alors aux Sami.
Audaces inouïes
C’est pourtant assez de savoir pour déclencher chez la jeune fille une soif inextinguible, qui l’éloigne du mode de vie semi-nomade de sa communauté, lui communique le désir de voir la ville (Uppsala, en l’occurrence) et surtout d’apprendre. Aux garçons suédois qui moquent son infériorité ethnique, Elle Marja répond tantôt par la furie, tantôt par le mensonge, tentant de se faire passer pour Suédoise, se faisant appeler Christina. Son interprète saisit ces moments de renoncement, ces audaces inouïes qui poussent le personnage à risquer aussi bien la rupture avec les siens que sa propre sécurité – lorsqu’elle s’enfuit vers Uppsala, pour tenter de se faire admettre à l’école normale.
L’héroïne est oublieuse de la beauté du pays qu’elle veut fuir, des rites qui marquent la vie des siens, éleveurs de rennes. Amanda Kernell a une conscience aiguë de la valeur de cet héritage. Elle filme son pays avec un lyrisme retenu, évitant le plaisir de la belle image pour évoquer cursivement l’harmonie entre l’eau, les arbres, les montagnes et les gens, les bêtes qui y vivent.
Son ton se fait plus colérique lorsqu’elle met en scène la visite d’une équipe anthropologique venue mesurer la capacité crânienne et compter la dentition des élèves sami. Aux meilleurs moments de Sami, une jeunesse en Laponie, la cinéaste parvient à conjuguer le roman de formation (la colère d’Elle Marja-Christina n’appartient qu’à elle) et la peinture d’une époque trouble, où les doctrines racistes qui s’imposaient en Allemagne contaminaient aussi ce bastion naissant de la social-démocratie.
Film suédois d’Amanda Kernell. Avec Lene Cecilia Sparrok, Mia Erika Sparrok, Maj Doris Rimpi (1 h 50). Sur le Web : www.bodegafilms.com/film/sami-une-jeunesse-en-laponie