Affrontements entre les « gilets jaunes » et les forces de l’ordre, mercredi 21 novembre au Port, dans le nord-ouest de l’île de La Réunion. / RICHARD BOUHET / AFP

Barrages, affrontements, incendies, pillages… L’île de la Réunion n’avait pas connu une telle tension depuis les émeutes de 1991 dans le quartier du Chaudron, où pillages et caillassages avaient entraîné la mort de huit personnes. Après cinq jours passés à bloquer les axes routiers stratégiques sous un soleil écrasant, les « gilets jaunes » continuent leur mobilisation sans faiblir à la Réunion.

Une trentaine de barrages étaient encore recensés, mercredi 21 novembre, sur l’île de 860 000 habitants, dans le sillage du mouvement spontané initié le 17 novembre au niveau national. « C’est maintenant ou jamais pour obtenir des avancées », indique un manifestant du sud de la Réunion. « La situation économique ne peut pas rester comme ça. C’est invivable. On est obligés de continuer à se mobiliser », abonde un autre.

La vie socio-économique de l’île, dont 40 % de la population vivait sous le seuil de pauvreté en 2015 selon l’Insee, est quasiment à l’arrêt depuis le week-end dernier. Les habitants rencontrent de très grandes difficultés à se déplacer pour aller travailler et se ravitailler, la voiture étant le principal moyen de locomotion. Certains habitants ne sont pas sortis depuis des jours. Les centres-villes sont déserts. Aucun service de transport en commun ne fonctionne.

Ecoles, crèches et stations-service fermées

Les écoles, crèches, administrations et la plupart des commerces sont toujours fermés. Tout comme les stations-service. Quatorze d’entre elles ont néanmoins été réquisitionnées pour approvisionner les véhicules des services de secours, d’urgence et de sécurité. Les liaisons aériennes sont, elles, très perturbées. « Même si je n’arrive pas à circuler, je suis avec les “gilets jaunes”, car, moi aussi, j’ai besoin que les prix baissent, d’avoir une pension convenable », témoigne Noël, 56 ans, qui désespère de trouver un commerce ouvert à Saint-Pierre, grande ville du sud de l’île.

De leur côté, les agriculteurs demandent des mesures d’urgence pour les aider à affronter la situation : avec les blocages, les éleveurs ne peuvent plus nourrir leurs animaux, une partie de la production de lait a dû être jetée et la livraison de canne est à l’arrêt, alors que la campagne sucrière actuelle était déjà jugée catastrophique en raison des cyclones subis en début d’année.

Depuis cinq jours, les habitants de l’île utilisent constamment Facebook pour s’informer en temps réel sur l’évolution des barrages, savoir quels commerces ont pris le risque de lever le rideau, donner leur opinion sur la situation ou faire état de débordements, parfois en vidéo.

La nuit tombée, des cagoules noires en nombre

Une poignée d’automobilistes, excédés, ont craqué jusqu’à blesser des « gilets jaunes ». Mercredi, la manifestation a tourné à l’insurrection au Port, dans le nord-ouest de l’île : jets de galets contre tirs lacrymogènes. Il y a aussi ces jeunes, des gamins pour certains, qui organisent des blocages et réclament un droit de passage, quand ils ne sont pas en train d’essayer de forcer les commerces.

Mais c’est surtout à la nuit tombée que la Réunion bascule dans des violences urbaines. Incendies, dégradations, pillages… Des cagoules noires prennent le relais des « gilets jaunes » dans plusieurs quartiers et font la loi. Parmi ces délinquants, beaucoup de mineurs là aussi, en errance, semble-t-il.

L’île de La Réunion connaît des violences urbaines depuis plusieurs jours. / RICHARD BOUHET / AFP

Depuis samedi, plus d’une centaine de personnes ont été interpellées, dont plusieurs ont été condamnées à des peines de prison ferme. Trois pelotons et deux escadrons de gendarmes mobiles (environ 250 militaires) ont été appelés en renfort sur l’île. La préfecture a instauré un couvre-feu mardi dans plus de la moitié des communes, les plus touchées par les violences. Il est interdit d’y circuler entre 21 heures et 6 heures, et ce, jusqu’à vendredi matin.

Une interdiction dont ont fait fi les fauteurs de troubles. A Saint-Denis, le chef-lieu, des délinquants ont pillé des magasins en quête de victuailles, d’alcool et de téléphones portables, dans la nuit de mardi à mercredi. Le quartier du Chaudron s’est, une fois de plus, tristement distingué par des heurts opposant forces de l’ordre et vandales. Un pas a été franchi quand plusieurs policiers ont été blessés, dont un grièvement à la main.

Des magasins ont été pillés, comme ici le 20 novembre à Saint-Denis. / RICHARD BOUHET / AFP

Au Port, un concessionnaire automobile a été cambriolé et un fast-food ravagé pendant le couvre-feu. Au même moment, sur les réseaux sociaux, de fausses informations circulaient, annonçant entre autres des coupures d’électricité à venir. Coincés sur la route ou chez eux, beaucoup d’internautes s’inquiétaient à l’idée que la situation puisse encore dégénérer.

Gel de l’augmentation des taxes jusqu’en 2021

Pour tenter de calmer la colère, la région Réunion a annoncé mardi que l’augmentation de la taxe sur le gazole et le sans-plomb serait gelée sur l’île jusqu’en 2021. C’était la première demande des « gilets jaunes » de l’île… mais pas la seule, d’où la poursuite des blocages. Le sujet des hydrocarbures est la goutte d’eau qui a fait déborder le vase.

Aujourd’hui, les revendications portent plus largement sur « la vie chère », l’emploi, les retraites. En soutien de leur mal-être, quarante élus ont remis au préfet un mémorandum présentant dix propositions pour l’île, sur le pouvoir d’achat, l’insertion des jeunes ou encore le développement de l’activité dans le BTP, l’agriculture et le tourisme.

Le président du conseil départemental, Cyrille Melchior, qui fait partie des signataires, a lancé : « La ministre des outre-mer doit venir ici à la Réunion pour discuter et prendre la mesure du malaise et les décisions adaptées. » Le porte-parole du gouvernement, Benjamin Griveaux, a, lui, assuré que « les revendications exprimées à la Réunion ont été entendues à maintes reprises, la plupart des réponses se trouvent déjà dans le Livre bleu des outre-mer ».

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