« Hard Eight » : les débuts dans le noir de Paul Thomas Anderson
« Hard Eight » : les débuts dans le noir de Paul Thomas Anderson
Par Thomas Sotinel
Le premier long-métrage du cinéaste américain, qui date de 1996, sort enfin dans les salles françaises.
La même année, un Texan et un Californien, tous deux nommés Anderson, sortaient leur premier long-métrage aux Etats-Unis. Pour de mystérieuses raisons, il a fallu vingt-deux ans à ces deux films pour trouver le chemin des salles françaises, bien longtemps après que leurs auteurs eurent accédé aux rangs de l’élite du cinéma américain. Bottle Rocket, de Wes Anderson, est sorti au printemps. Voici venu le temps de découvrir Hard Eight, de Paul Thomas Anderson.
On peut s’amuser à discerner dans ce film noir des motifs qui réapparaîtront dans les films de P. T. Anderson, comme les perversions de la piété filiale. On peut aussi le comparer à ses successeurs, ce qui ne tourne pas forcément à l’avantage de Hard Eight. Il faut prendre ce film noir brutal, un peu dépressif pour ce qu’il est : une œuvre imparfaite, brillante et légèrement cynique, servie par une distribution étonnante. De nos jours, on voit à intervalles réguliers Samuel L. Jackson et Gwyneth Paltrow dans le même film. Mais, trente ans avant Avengers, ces deux-là ne se contentaient pas de trouver une petite place pour leurs personnages dans un comic à grand spectacle.
Dans Hard Eight, Gwyneth Paltrow est Clementine, une serveuse qui survit en se prostituant, Samuel L. Jackson, Jimmy, un videur de casino. Ils ont affaire à Sydney (Philip Baker Hall), un joueur vieillissant, et son pupille John (John C. Reilly). Les premiers plans montrent ce dernier affalé à l’extérieur d’un diner. Sans que l’on comprenne bien pourquoi, Sydney invite ce presque clochard à se réchauffer avant d’expliquer au jeune homme les erreurs que ce dernier a commises à Las Vegas, où il espérait gagner assez d’argent pour enterrer sa mère.
Philip Baker Hall est un immense acteur, qui exsude toute la lassitude du monde. Le cinéma américain ne lui confie que de rares premiers rôles (il fut Richard Nixon pour Robert Altman dans Secret Honor), et Paul Thomas Anderson a le mérite de faire reposer le poids du film sur ses épaules. Le dialogue lacunaire entre le vieil homme fatigué et le garçon à la dérive est filmé avec patience et attention, et pourtant il s’en dégage une tension impalpable.
Un film noir violent
Cette rencontre n’est qu’un prologue et l’essentiel du film se passe quelques mois plus tard à Reno, où John, devenu un arnaqueur efficace, et Sydney écument les casinos. C’est là que le plus jeune tombe amoureux de Clementine, et que Jimmy prête aux deux hommes une attention qui n’a rien de désintéressée. Hard Eight prend alors le tour d’un film noir violent comme l’Amérique les aimait à l’époque et l’on ne peut se défendre de l’impression que Paul Thomas Anderson a décidé de démontrer qu’il est en mesure de renouveler le mélange des ingrédients habituels – cigarettes, whisky, petites pépées et passages à tabac.
Il se veut plus froid que Scorsese, moins sardonique que De Palma, mais ces bonnes résolutions contraignent le film, l’éloignent de la déambulation mystérieuse des premières séquences. On retrouve cette étrangeté le temps de l’apparition de Philip Seymour Hoffman, dont le personnage défie Sydney aux dés.
L’affrontement entre le vieux joueur et le videur de casino se fait sanglant, et c’est l’occasion pour le réalisateur de demander à Samuel L. Jackson le contraire de ce qu’il venait de faire dans Pulp Fiction. Cette volonté de se démarquer fait de Hard Eight un film constamment intéressant, parfois agaçant. Elle ne définit pas encore une manière, un style. Ceux-ci viendront plus tard, avec le deuxième long-métrage de Paul Thomas Anderson, Boogie Nights.
HARD EIGHT de Paul Thomas Anderson - Le 21 novembre au cinéma
Durée : 02:02
Film américain de Paul Thomas Anderson (1996). Avec Philip Baker Hall, Samuel L. Jackson, Gwyneth Paltrow (1 h 42). Egalement diffusé sur Paramount Channel. Sur le Web : www.splendor-films.com/items/item/556