Maroc : la condamnation de musiciens de rue relance le débat de l’art dans l’espace public
Maroc : la condamnation de musiciens de rue relance le débat de l’art dans l’espace public
Le Monde.fr avec AFP
Badr Mouataz et Mehdi Achataou ont été condamnés à un mois de prison avec sursis pour « refus d’obtempérer » et « violences à l’encontre de fonctionnaires publics ».
Un jeune Marocain joue de la guitare devant le Parlement, à Rabat, en janvier 2017. / FADEL SENNA / AFP
L’affaire a suscité l’indignation au Maroc. Deux jeunes musiciens de rue, arrêtés après un accrochage avec des agents d’autorité venus les déloger, ont été condamnés jeudi 22 novembre à un mois de prison avec sursis par un tribunal à Casablanca.
Badr Mouataz et Mehdi Achataou, âgés respectivement de 25 et 28 ans, avaient été interpellés le 13 novembre par des agents d’autorité alors qu’ils se produisaient à la place des Nations unies, rebaptisée place Maréchal, dans le centre-ville de Casablanca, selon leur avocat Youssef Chehbi.
« C’est une machination »
Un accrochage avait eu lieu avec ces agents venus appliquer une décision d’interdiction des musiciens se produisant sur cette célèbre place, pour réduire les « nuisances sonores ». Les deux musiciens ont été condamnés chacun à un mois de prison avec sursis par le tribunal de première instance d’Ain Sebaa, notamment pour « refus d’obtempérer » et « violences à l’encontre de fonctionnaires publics », a précisé à l’AFP Me Chehbi.
« C’est une machination, il n’y a pas eu de violences, assure Aadel Essaadani, cofondateur de Racines, une association qui promeut les industries créatives au Maroc. Les autorités ont simplement trouvé une excuse pour les mettre en garde à vue pendant neuf jours et donner l’exemple. Même s’ils ont été libérés, les deux musiciens ont été condamnés à du sursis, donc ils ont désormais un antécédent. De cette manière, les autorités s’assurent qu’ils ne reviendront plus. »
Au Maroc, la question de l’art dans l’espace public est source de tensions. En mars 2017, la wilaya de Casablanca avait décidé d’interdire les musiciens sur la vibrante place des Nations unies, où les artistes ont l’habitude de jouer, pour cause de nuisances sonores suite à des plaintes des riverains. Plusieurs sit-in ont été organisés pour protester contre la mesure et les artistes ont continué à affluer, malgré l’interdiction. « Celle-ci n’a jamais été formelle, rappelle M. Essadani. Du coup, ils cherchent des supercheries pour empêcher les artistes de jouer, mais ça ne peut pas continuer comme ça. »
« L’art de rue n’est pas un crime »
La loi marocaine oblige les artistes souhaitant faire une représentation dans l’espace public à informer les autorités 72 heures avant. « Au Maroc, une représentation artistique est encore considérée comme une manifestation publique. Nous demandons qu’il y ait un distinguo dans la loi entre les manifestations artistiques et les manifestations politiques ou syndicales », poursuit le cofondateur de l’association, qui a lancé une pétition à ce sujet en 2016.
Depuis l’arrestation des jeunes musiciens mi-novembre, les réactions ont été vives dans le royaume, aussi bien dans les milieux culturels que chez les défenseurs des droits humains. L’Association marocaine des droits de l’homme (AMDH) a exprimé dans un communiqué son « soutien absolu » aux musiciens arrêtés, condamnant leur « interdiction et arrestation ».
soutien total #Free_lfen https://t.co/YF6NmDXNhr
— RedaAllali (@reda allali)
Une affiche montrant les mains d’un pianiste menottées, accompagnée du message « l’art de rue n’est pas un crime », est devenue virale sur les réseaux sociaux. Des internautes ont même rappelé la condamnation en 2003 à des peines de prison de quatorze jeunes amateurs de hard rock, une affaire qui avait défrayé la chronique et suscité une vague de mobilisation au Maroc.