« Les Héritières » : chute et renouveau au Paraguay
« Les Héritières » : chute et renouveau au Paraguay
Par Thomas Sotinel
Le réalisateur Marcelo Martinessi signe un film délicat sur l’émancipation forcée d’une sexagénaire.
Ce premier long-métrage d’un cinéaste paraguayen commence par les signes d’une débâcle. Dans un intérieur bourgeoisement décoré, des étrangers évaluent meubles et vaisselle sous l’œil résigné d’une sexagénaire dynamique. Dans la pièce voisine, une autre femme, à peu près du même âge, ne fait qu’entendre les échos de la transaction. Chiquita (Margarita Irun) préside à la vente, mais c’est de l’héritage de Chela (Ana Brun) qu’il s’agit, et cette dernière en souffre au point de ne plus quitter la chambre. Doucement (le film est placé sous le signe d’une lenteur délibérée, presque toujours justifiée), on comprend qu’elles sont amantes, qu’elles ont vécu des années sur la rente de Chela, qui se veut artiste peintre, et qu’elles sont aujourd’hui prises à la gorge.
Ce qu’il advient de ce vieux couple est à la fois inévitable et imprévisible. Marcelo Martinessi met en scène la défaite de cet amour avec délicatesse et finesse, dévoilant progressivement les lignes de force d’une histoire qui acquiert de nouvelles nuances à chaque chapitre.
Une fois établie la ruine financière de Chela et Chiquita, on apprend que la seconde, en délicatesse avec sa banque, va bientôt être incarcérée. Cette sanction dickensienne – première occasion pour le réalisateur-scénariste de faire entrer en jeu la réalité de son pays – mène la condamnée dans une prison pour femmes qui aurait été familière à l’auteur de La Petite Dorrit, avec sa société hétérogène, ses figures plus grandes que nature.
L’essentiel du film est ailleurs, dans la marche forcée vers l’autonomie que doit entreprendre Chela. Contrainte de sortir de son lit, la dépressive se fait bientôt chauffeur privé, grâce à la Mercedes vintage qu’elle n’a pas encore vendue. Elle conduit une voisine riche et méchante à ses parties de cartes et supporte bravement la condescendance apitoyée des femmes qu’elle trimbale dans les rues d’Asuncion. Bientôt Chela se lie d’amitié, voire plus, avec Anji, qui gravite à la périphérie de cette caste privilégiée. C’est dans la mise en scène de cette ébauche d’histoire d’amour que le metteur en scène perd un peu de son assurance.
Un espace oppressant
Le reste du temps, Marcelo Martinessi conduit son récit avec une grande délicatesse, jouant du contraste entre la brutalité des rapports sociaux et la douce médiocrité de la vie domestique de Chela. Qu’il décrive les relations entre la femme esseulée et sa domestique ou qu’il esquisse l’architecture d’un système judiciaire inefficace et corrompu, le jeune cinéaste ramène toujours ses considérations à l’échelle des individus qu’il filme en plans serrés, souvent enserrés dans un espace oppressant.
En février, à la Berlinale, Ana Brun, qui joue Chela, a obtenu le prix d’interprétation. La maîtrise presque invisible dont elle fait preuve, les transformations à peine perceptibles qui construisent l’évolution de son personnage font croire à une comédienne expérimentée, qui brillerait depuis longtemps sur quelque scène théâtrale paraguayenne ignorée du reste du monde. Il n’en est rien, Ana Brun n’a joué qu’un peu sur les planches, il y a des années, elle est avocate et a souffert de ses liens avec l’opposition sous la dictature de Stroessner. La connaissance de ce parcours hors du commun ajoute encore à la joyeuse surprise qu’est la découverte des Héritières.
Film paraguayen de Marcelo Martinessi. Avec Ana Brun, Margarita Irun, Ana Ivanova (1 h 38). Sur le Web : www.rouge-distribution.com/2018/02/04/las-herederas.html
Les sorties cinéma de la semaine (mercredi 28 novembre)
- A Bread Factory, Part 1 : Ce qui nous unit, film américain de Patrick Wang (à ne pas manquer)
- Derniers jours à Shibati, documentaire français de Hendrick Dusollier (à ne pas manquer)
- Diamantino, film brésilien, français et portugais de Gabriel Abrantes et Daniel Schmidt (à voir)
- La Permission, film iranien de Soheil Beiraghi (à voir)
- Les Héritières, film paraguayen de Marcelo Martinessi (à voir)
- Les Veuves, film américain de Steve McQueen (à voir)
- Le Grinch, film d’animation américain de Yarrow Cheney et Scott Mosier (pourquoi pas)
- Voyage à Yoshino, film français et japonais de Naomi Kawase (pourquoi pas)
- Gutland, film allemand, belge et luxembourgeois de Govinda Van Maele (on peut éviter)
A l’affiche également :
- Casse-Noisette et les quatre royaumes, film américain de Lasse Hallström et Joe Johnston
- Les Contes merveilleux, programme de courts-métrages américain de Ray Harryhausen
- Frig, film français d’Antony Hickling
- Lola et ses frères, film français de Jean-Paul Rouve
- Sauver ou périr, film français de Frédéric Tellier (pourquoi pas)
- Portrait d’une jeune femme, film français de Stéphane Arnoux
- Robin des bois, film américain d’Otto Bathurst