Comme d’autres, les organisations syndicales ont été reçues, vendredi 30 novembre, par le premier ministre, Edouard Philippe, dans le cadre de la préparation de la concertation décentralisée que l’exécutif souhaite mettre en place. Et comme d’autres, elles ne sont pas reparties convaincues de ce rendez-vous, censé apporter un élément de réponse au mouvement des « gilets jaunes ».

« On a redit qu’il fallait des mesures concrètes. On ne rentre pas dans un processus s’il n’y a pas de marge de manœuvre pour des mesures réelles pour les travailleurs », a expliqué Laurent Berger, le secrétaire général de la Confédération française démocratique du travail (CFDT), à sa sortie de Matignon. Il est pourtant celui qui se montre le plus ouvert à cette idée de dialogue au plus près du terrain entre associations, corps intermédiaires, élus, Etat et protestataires – il a lui-même proposé l’idée. Mais « à une seule condition », a-t-il prévenu, « que ça ne soit pas un jeu de dupes ».

Ses homologues sont plus circonspects. « Les grandes messes qui associent tout le monde, ce n’est pas trop ma tasse de thé. J’ai peur que l’on noie le poisson dans l’eau », considère Yves Veyrier, le nouveau secrétaire général de Force ouvrière (FO), qui ne pouvait être présent vendredi. François Hommeril, président de la Confédération française de l’encadrement - Confédération générale des cadres (CFE-CGC), est aussi critique. « Je ne suis jamais contre discuter,mais on est comme les médecins de Molière : on va se retrouver autour du corps malade de la société française pour parler de la taille du bouton ou de la marque du thermomètre. Si c’est ça, ça n’a aucun intérêt. Ça doit se faire sur la politique économique du gouvernement avec laquelle nous sommes en total désaccord. »

Le gouvernement jugé « hors sol »

La Confédération générale du travail (CGT) n’est guère plus enthousiaste. « On veut des réponses immédiates et pas des comités Théodule, explique Fabrice Angei, membre du bureau confédéral de la centrale de Montreuil (Seine-Saint-Denis). Le gouvernement ne peut pas jouer la montre jusqu’à ce que le mouvement s’épuise. Il ne prend pas la mesure de ce qui se passe dans le pays. Il est hors sol et le montre. » Pour lui, « seule la mobilisation peut le contraindre à changer son fusil d’épaule ». La CGT a appelé « tous les citoyens, les salariés actifs et retraités » à venir, samedi, grossir une manifestation prévue de longue date à Paris contre le chômage et élargie au pouvoir d’achat.

Les syndicats en ont aussi profité pour pousser leurs revendications. FO a réclamé un « moratoire » sur la hausse des taxes sur les carburants prévue au 1er janvier. Avec la CFDT, elle a aussi demandé la généralisation de la prime pour les transports pour les salariés contraints de prendre leur voiture pour aller au travail. Si Philippe Portier, un responsable de la CFDT présent lors de la rencontre, juge qu’Edouard Philippe s’est montré « ouvert », Michel Beaugas, qui représentait FO, souligne que « le premier ministre n’a pris aucun engagement » sur le sujet.

Entre rétablissement de l’impôt de solidarité sur la fortune (ISF) et suppression de la hausse de la contribution sociale généralisée (CSG) pour les retraités, la question de la revalorisation des salaires a également été très présente. Mais, déplore M. Beaugas, « le premier ministre a rappelé qu’il ne faut pas augmenter le coût du travail ». Une fin de non-recevoir, selon lui. Ces derniers jours, plusieurs confédérations ont regretté l’absence de « coup de pouce » sur le smic. Le salaire minimal sera seulement revalorisé de façon automatique au 1er janvier, comme c’est le cas depuis années, a déclaré M. Philippe mardi.

Au-delà du fond, la forme a aussi froissé. D’ordinaire, ce type d’annonce survient après qu’une instance réunissant les partenaires sociaux a rendu un avis consultatif. Au moment où l’exécutif veut signifier qu’il ne dédaigne pas les corps intermédiaires comme cela lui a été reproché, c’est au mieux « maladroit » de la part du premier ministre, relève M. Veyrier. « Cela montre la réalité du mépris que le gouvernement a envers les acteurs sociaux », estime pour sa part M. Angei.