Les « gilets jaunes » vus de Moscou : une « révolution de couleur » fomentée par les Etats-Unis
Les « gilets jaunes » vus de Moscou : une « révolution de couleur » fomentée par les Etats-Unis
Par Isabelle Mandraud (Moscou, correspondante)
Pour Dmitri Kisselev, présentateur vedette de la chaîne russe Rossiya 1, il semblerait que, tout comme lors de la « révolution orange » en Ukraine, les Américains soient à la manœuvre en France.
Manifestation des « gilets jaunes », place de l’Etoile, à Paris, le 1er décembre. / Julien Muguet pour « Le Monde »
Comme partout, la sidération l’emporte en Russie après les violentes émeutes survenues le 1er décembre à Paris lors de la nouvelle manifestation de colère des « gilets jaunes ». Mais Dmitri Kisselev a son interprétation : le jaune est une couleur, les événements mettent en péril le pouvoir, donc, c’est une « révolution de couleur », orchestrée en sous-main, comme toutes les autres avant elles – notamment la révolution orange en Ukraine –, par les Etats-Unis.
Dimanche 2 décembre au soir, sur la chaîne publique Rossiya 1, le directeur de la chaîne et présentateur vedette de l’émission « Vesti « (« nouvelles ») – la préférée, dit-on, de Vladimir Poutine – a avancé cet argument imparable à ses yeux pour décrire la situation en France : « Cela ressemble à l’exportation américaine d’une révolution de couleur, et tout cela parce que le président Macron a parlé de la nécessité d’une armée européenne. »
Car sinon, a développé le présentateur devant un fond écran sur lequel s’inscrivaient en grosses lettres les mots « révolte exportée ? », comment expliquer qu’une « microscopique augmentation du prix de l’essence provoque dans la rue des scènes de pillage, la mobilisation d’une armée de policiers, de la fumée, des tirs, du sang, des nuages de gaz lacrymogène, des éclats de verre partout ? » Non, non, « le prétexte est disproportionné », assure Dmitri Kisselev, qui s’est renseigné. Certes, « le prix de l’essence est deux fois plus cher en France qu’en Russie », mais il est encore plus élevé en Grèce ou aux Pays-Bas.
Et puis comment croire cet enchaînement improbable : une coordination de protestation sur les réseaux sociaux avec des vidéos « réalisées soi-disant par de simples Français », et l’apparition de surcroît d’un « nom aussi accrocheur » que celui de « gilets jaunes » ? « Vraiment, enchaîne le présentateur, les Etats-Unis peuvent-ils tolérer une alternative à l’OTAN en Europe ? Pensez ce que vous voulez mais la première vague des émeutes liées au prix du carburant a balayé la France une semaine seulement après la déclaration de Macron sur la nécessité de créer une armée européenne. » Les images de l’Arc de triomphe et de l’avenue des Champs-Elysées dévastés ont suivi l’exposé.
Connu pour ses outrances
Dmitri Kissilev n’est pas tout à fait un présentateur comme les autres. Connu pour ses outrances, inscrit sur la liste européenne des personnalités russes placées sous sanctions, il est aussi et surtout le patron de Rossia Sevognia, la maison mère de la chaîne de télévision RT et le site Sputnik, les deux médias implantés dans le monde entier pour exporter la voix du Kremlin. Mais dimanche, la leçon s’adressait d’abord aux Russes : révoltez-vous et vous aurez le chaos.
Depuis 2014 et le soulèvement ukrainien sur la place Maïdan, Vladimir Poutine n’a cessé de marteler ce même message : les Etats-Unis sont derrière chaque révolte. « Ils ont commencé à soutenir à toute force les révolutions de couleur, y compris le prétendu printemps arabe et à quoi cela mène-t-il ? Au chaos », répétait encore le chef du Kremlin lors du forum économique de Saint-Pétersbourg en juin 2016.
On notera tout de même aussi cette contradiction parmi les sources influentes en Russie. Dans un tweet envoyé à la veille des rassemblements du 1er décembre en France, Alexandre Douguine, un intellectuel proche des milieux d’extrême droite qui a inspiré le virage eurasien et anti-occidental du président russe, écrivait : « Je suis “gilet jaune” ». En français dans le texte.