La métamorphose de Vitry-sur-Seine inquiète ses habitants
La métamorphose de Vitry-sur-Seine inquiète ses habitants
Par Grégoire Allix
Sur 300 hectares, la municipalité (PC) de Vitry-sur-Seine ambitionne de bâtir « la ville mixte et productive du XXIe siècle ». Plus d’un million de mètres carrés de bâtiments sortiront de terre. La gare des Ardoines passera de 10 000 à 100 000 voyageurs par jour.
L’optimisme n’est plus de mise au Tout va Mieux. A deux pas des immenses chantiers du quartier des Ardoines, à Vitry-sur-Seine (Val-de-Marne), le café-restaurant est promis à la démolition, comme le reste de la rue. L’adresse doit être engloutie dans les aménagements autour de la future gare du Grand Paris Express, au cœur d’une des plus grandes opérations urbaines de l’Hexagone. « On ne sait pas exactement quand on devra partir ni où on ira, mais on ne restera pas par ici de toute façon », regrette le patron derrière le zinc. La gare flambant neuve accueillera des snacks et des cafés sous franchise, fini le plat du jour-couscous de quartier.
Le long du RER C, le paysage industriel dominé par les deux hautes cheminées de la centrale à charbon d’EDF a entrepris sa mutation. Sur 300 hectares – deux fois la superficie de la ville voisine du Kremlin-Bicêtre –, la municipalité (PC) de Vitry-sur-Seine et l’établissement public d’aménagement Orly Rungis-Seine Amont (EPA ORSA) ambitionnent de bâtir « la ville mixte et productive du XXIe siècle ».
Avec pour feuille de route de tirer parti d’un emplacement privilégié en bord de Seine à seulement trois kilomètres de Paris, sans sacrifier un tissu économique dense ni trahir l’identité populaire de la ville.
« Ce n’est pas du tout une friche »
« Le défi, c’est que c’est un endroit occupé par toutes sortes d’entreprises, observe Thierry Febvay, le directeur général de l’EPA ORSA. Contrairement à d’autres opérations du Grand Paris, ce n’est pas du tout une friche. C’est un territoire industriel vivant. »
Autour de la centrale à charbon, dont la déconstruction doit durer jusqu’en 2027, s’étendent un terminal d’Air Liquide, un dépôt pétrolier, le groupe Sanofi avec 2 000 salariés et un centre de recherche et développement, des dépôts de bus, des entrepôts, une myriade de PME du BTP, de la logistique, du commerce de gros, un large faisceau de rails et de vastes halles ferroviaires, le centre de maintenance du RER C… Un patchwork hétéroclite qui coupe la ville du fleuve.
Pour réparer ce territoire trop vaste, promu « opération d’intérêt national » en 2007, l’aménageur a découpé trois secteurs. Deux zones d’aménagement concerté (ZAC) ont été créées au nord et au sud sur respectivement 37 et 49 hectares, autour des deux gares de RER de Vitry et des Ardoines. Au centre, où se trouvent les grandes emprises industrielles, une transformation plus lente est programmée, en partenariat avec les entreprises, pour réimplanter de la ville à mesure que les usines se réorganisent de manière plus compacte.
Des enjeux différents d’une ZAC à l’autre
« Les enjeux sont différents d’une ZAC à l’autre, explique M. Febvay. Au nord, où nous avons un territoire déjà connecté au centre-ville, une amorce de tissu faubourien, il y aura deux tiers de bâtiments résidentiels et un tiers d’activités économiques, davantage d’équipements publics, un parc le long du fleuve pour relier Vitry à la Seine. »
La ZAC sud, sur un secteur moins urbain, s’organisera autour de la gare des Ardoines, véritable catalyseur de la ville. Le futur pôle de transports réunissant le RER C, la ligne 15 du Grand Paris Express et le bus TZen 5 va faire passer la gare de 10 000 à 100 000 voyageurs par jour. « Ce sera un quartier très métropolitain, avec deux tiers d’activités tertiaires ou industrielles et un tiers de résidentiel », précise le directeur de l’EPA ORSA.
Au total, plus d’un million de mètres carrés de bâtiments doivent sortir de terre : quelque 8 000 logements, des équipements publics, des commerces et des activités accueillant 21 000 emplois. De quoi faire bondir la population de la ville de 96 000 à près de 120 000 habitants – au risque de voir les nouveaux résidents de ces quartiers flambant neufs bouleverser la sociologie du vieux Vitry, où des populations de toutes origines cohabitent dans de modestes zones pavillonnaires, d’anciens immeubles de rapport, des HLM qui atteignent 40 % du parc de logements.
« Les Vitriots sont inquiets que ces quartiers ne soient pas pour eux, ils veulent que ça reste leur ville, ils y sont attachés, prévient le maire, Jean-Claude Kennedy. On veut que cette partie de la ville soit accueillante pour des ménages modestes. Il y a un risque de voir les prix s’envoler et les gens repoussés toujours plus loin. »
Les prix de l’immobilier en négociation constante
Pour tenter d’éviter l’emballement de l’immobilier, les nouveaux aménagements maintiennent 40 % de logements sociaux. C’est aussi une négociation constante sur les prix entre la ville, l’aménageur et les promoteurs. « Nous travaillons sur des programmes innovants, avec des prix plus bas que le niveau du marché pour des primo-accédants, afin de construire des parcours résidentiels locaux », ajoute le directeur de l’EPA ORSA.
Alors qu’un quart de la ville est constitué de petits pavillons, les Vitriots regardent aussi avec appréhension ces dizaines de résidences et de bureaux montant jusqu’à neuf étages. « Il ne faut pas ériger une muraille de béton en face des maisons », estime le maire, qui a fait revoir le nombre de mètres carrés à la baisse. « Les hauteurs seront progressives, précise M. Kennedy. Nous voulons une densité vivable, dans la continuité de la ville existante. Il faut des parcs, des espaces publics, une relation à la Seine… »
Entre risque de gentrification, spectre de ville-dortoir et épouvantail de la densité, l’opération des Ardoines promet d’être l’un des thèmes des prochaines élections municipales à Vitry-sur-Seine. Le maire a mené un cycle de consultations, baptisées « Imagine Vitry », pour aller à la rencontre de ses administrés. Une grande réunion publique doit en tirer un bilan le 14 décembre.
Quoi qu’il en sorte, les dés sont jetés : l’établissement public foncier d’Ile-de-France a déjà fait l’acquisition de près des quatre cinquièmes des 35 hectares qu’elle devait acheter pour le compte de l’aménageur, pour 41 millions d’euros. 850 promesses de vente pour des logements ont déjà été signées. Les premières livraisons de bâtiments, elles, sont attendues à partir de 2020.
Cet article fait partie d’un dossier réalisé en partenariat avec l’établissement public foncier d’Ile-de-France.