Biathlon : Martin Fourcade change tout pour rester au sommet
Biathlon : Martin Fourcade change tout pour rester au sommet
Par Clément Guillou
Le meilleur biathlète du monde entame sa saison individuelle mercredi. Il part à la conquête d’un huitième globe de cristal avec deux nouveaux entraîneurs, pour échapper à la lassitude.
Martin Fourcade, durant son relais mixte victorieux le 02 décembre à Polkjuka (Slovénie) / JURE MAKOVEC / AFP
Tout changer pour que tout demeure : cette saison, Martin Fourcade applique à la lettre le précepte de Tancrède Falconeri, l’opportuniste aristocrate du « Guépard ». Ce qui doit demeurer : l’omniprésence au sommet des podiums, le globe de cristal de la Coupe du monde derrière la vitrine, les médailles qui rebondissent sur la poitrine après les Mondiaux. Ce qui change : l’entourage. Exit Stéphane Bouthiaux, l’homme qui a accompagné la carrière du Français le plus titré de l’histoire aux Jeux olympiques - cinq médailles d’or.
Le taiseux Franc-comtois, incarnation depuis 11 ans de la réussite du biathlon français, prend du galon en devenant directeur technique des équipes de ski de fond et de biathlon. On ne le verra plus galoper le long des pistes à hurler à Martin Fourcade son avance sur les poursuivants.
Exit aussi l’ancien médaillé olympique de tir Franck Badiou, qui murmurait à la carabine du Français. Ils sont remplacés par l’ancien champion du monde de ski de fond Vincent Vittoz, entraîneur principal, et l’Italien Patrick Favre, ancien biathlète de haut niveau, qui se concentrera sur le tir.
Pourquoi changer ce qui marchait si bien ? Le quintuple champion olympique inverse la perspective : « C’était un gros risque de ne pas changer », rétorque-t-il au Monde. L’homme qui connaît son agenda six mois à l’avance a aussi anticipé une possible baisse de motivation, à 30 ans et alors qu’il a déjà tout gagné dans son sport. « Je sais comment faire pour performer, et c’est un risque. J’avais peur de tomber dans une forme de confort, de ne pas me faire la violence nécessaire. J’aurais eu du mal à donner autant avec le même fonctionnement. »
L’idée, assure-t-il, est venue de Stéphane Bouthiaux lui-même. Fourcade n’aurait jamais osé la formuler et en a même pris ombrage, au début, tant la relation entre les deux hommes était forte. Puis il a positivé : « Stéphane a eu la finesse de sentir qu’il arrivait au bout d’un cycle, qu’il n’avait plus la capacité ou la volonté de nous brusquer, à un moment de ma carrière où on devrait pourtant le faire. »
A l’évidence, le pli n’est pas encore pris : à trois reprises, le Catalan évoque « Stéphane » avant de se reprendre pour parler de « Vincent ». Vittoz est un contemporain de Fourcade - il a arrêté sa carrière en 2011. Jusqu’alors entraîneur des espoirs du fond français, il n’a pas été choisi par Fourcade, assurent les deux hommes. Tout juste le leader français avait-il dressé un portrait-robot : « Quelqu’un doté d’une expérience internationale au plus haut niveau et ne venant pas du biathlon, car j’aurais eu l’impression d’avoir Stéphane Bouthiaux en moins bien. »
« On passe un peu de Deschamps à Vahid »
Vittoz n’est pas le premier choix mais plonge immédiatement, avec ses façons, nouvelles : « Le groupe cherche un nouveau discours, surtout Martin, explique-t-il. Dans le travail, il n’y a pas d’évolution majeure, si ce n’est dans la musculation et dans une approche plus globale de l’entraînement, moins scindée entre le foncier et l’intensité. C’est surtout un accompagnement différent pour qu’il reste mobilisé, parce qu’on arrive sur la fin de sa carrière. »
La borne n’est toujours pas fixée. Le Français se donne deux saisons de plus et refuse de se fixer les Jeux olympiques de Pékin 2022 pour horizon. Malgré la fatigue et l’éloignement de sa famille six mois sur douze, Fourcade n’a pas voulu s’arrêter après Pyeongchang, à l’apogée de sa popularité, de sa domination et de ses revenus publicitaires. Autour de lui, pas grand monde ne semble croire que Fourcade s’arrêtera en 2020, si proche d’une ultime possible razzia olympique. Beaucoup dépendra de sa motivation, du rapport bénéfice-risque que ce pragmatique pèsera au trébuchet.
Vincent Vittoz est là pour ça : coach en motivation autant que de biathlon. « C’est parfois perturbant par rapport à ce que l’on connaissait avec Stéphane, qui nous cajolait, un peu papa canard. Vincent est plus direct, il me sort de ma zone de confort. Dans l’esprit, on passe un peu de (Didier) Deschamps à Vahid (Halilhodzic, entraîneur du FC Nantes réputé pour son discours martial, N.D.L.R.). Ceci dit, je pense être le seul capable de pouvoir générer ma motivation. A ce stade de ma carrière, je prends les décisions seul mais je me sers de l’expérience de chacun. »
A ce rythme, le record de Björndalen est accessible
Ainsi Martin Fourcade a-t-il souhaité continuer à travailler tout l’été avec Franck Badiou, l’ex-entraîneur de tir des Français, jugé trop cérébral et technique par certains. Il restera au contact du groupe, dont il demeure le responsable des carabines. C’est toutefois l’Italien Patrick Favre, dont le frère Christian prépare les skis de Martin Fourcade, qui prendra place derrière la jumelle sur les pas de tir, pour donner les indications aux athlètes.
Ancien biathlète de haut niveau, Patrick Favre apportera aussi aux Français sa connaissance du circuit, dont manque Vittoz en tant qu’ancien fondeur. Et une dose d’empirisme et de simplicité bienvenues, après des JO où les Français avaient flanché derrière la carabine. « C’est un enseignement qui se rapproche de ce que j’avais avec Siegfried [Mazet, son ancien entraîneur de tir désormais au service des Norvégiens, N.D.L.R.], plus sur l’instinct que sur la réflexion », commente Fourcade.
Puisque la confiance est clé, dans le biathlon plus qu’ailleurs, la première sortie du septuple vainqueur de la Coupe du monde, dimanche 2 décembre à Polkjuka (Slovénie), a plus de valeur qu’elle n’en a l’air : troisième partant dans le relais mixte, il a mis la France sur la voie du succès avec zéro faute et trois boucles efficaces sur les skis.
Le Catalan entamera sa saison individuelle mercredi, lancé dans une chasse au démentiel record d’Ole Einar Björndalen : 95 victoires en Coupe du monde, soit 21 de plus que lui. « Dix victoires par saison, ce n’est pas anodin, ce n’est pas une norme ; même si c’est mon rythme de ces dernières années. » Tancrède Falconeri n’est pas que pragmatique, il est aussi vorace.