Curling : la « Garlic Team » sud-coréenne libérée de son entraîneur
Curling : la « Garlic Team » sud-coréenne libérée de son entraîneur
Par Clément Martel
Les joueuses de l’équipe sud-coréenne de curling, sensations des JO de Pyeongchang, ont obtenu, mardi, la démission de leur entraîneur, qu’elles accusaient d’exploitation et d’abus verbaux.
La « skip » coréenne, Kim Eun-jung, et ses coéquipières ont remporté l’argent olympique à Pyeongchang. / AARON FAVILA / AP
Le conte de fées avait viré au cauchemar. Phénomène des Jeux olympiques d’hiver de Pyeongchang, ayant réussi à passionner la Corée du Sud pour un sport aux antipodes de la culture du pays, l’équipe de curling de Corée du Sud – la « Garlic Team » comme elle était surnommée – était depuis plusieurs mois plongée au cœur d’une sombre tourmente. Les joueuses qui la composaient et qui avaient décroché une médaille olympique d’argent en février, accusaient leur entraîneur, Kim Kyung-doo, d’exploitation et d’abus verbaux. Mardi 4 décembre, celui-ci, ainsi que tout l’encadrement ont démissionné de leurs fonctions.
Regrettant d’avoir été la source « d’une déception et d’inquiétudes énormes », le désormais ex-coach a présenté, dans un communiqué, ses « excuses sincères aux athlètes pour avoir provoqué une si grande douleur avec [sa] piètre façon de [s]’exprimer. »
Rembobinons. C’est l’histoire de cinq filles dans une petite ville de province, célèbre pour sa culture de l’ail. Uiseong, dans le cœur du pays, est également le siège du premier club de curling de Corée, établi en 1994. Cinq filles, répondant toutes au patronyme Kim – le plus commun du pays –, liées entre elles (elles sont sœurs, cousines, amies de la sœur ou amie) et s’étant un jour mis en tête de se mettre à cette « pétanque sur glace » venue d’Ecosse.
« Annie », « Sunny », « Pankake » et les autres
Bien décidées à conquérir le monde, les jeunes femmes – rapidement surnommées la « Garlic Team » en hommage au condiment issu de leur ville natale, ce qu’elles détestent – se sont affublées entre elles de surnoms anglophones, pour « améliorer [leurs] capacités dans cette langue ». « Annie », « Sunny », « Pankake » et « Steak » font leurs gammes dans la tranquillité d’un sport totalement ignoré dans leur pays.
Montant en puissance, elles voient leur popularité grimper en flèche, de même que celle de leur sport, lors des Jeux olympiques à domicile, en février. Dans le sillage de leur skip (capitaine), Kim Eung-jung, dont le regard de glace derrière des lunettes rondes et ses instructions criées à ses partenaires sont devenus des mèmes, les joueuses coréennes ont balayé devant elles jusqu’à la finale olympique, prenant le dessus au passage sur le Canada ou la Suisse, grandes nations du curling.
Battue par la Suède en finale (3-1), l’équipe surprise de la compétition a réalisé un exploit en rendant le curling populaire en Corée le temps d’une compétition.
Contrôle excessif
Mais l’Olympe s’est révélé proche des falaises de l’île écossaise d’Ailsa Craig, d’où sont extraites les pierres servant au curling. Quelques mois à peine après le premier podium olympique d’une équipe asiatique en curling, les joueuses ont alerté sur leur « situation désespérée ».
Accusant l’encadrement de l’équipe d’« abus verbaux innombrables », les Coréennes reprochent à leurs entraîneurs un contrôle excessif de leur vie privée. Ainsi, la capitaine Kim Eung-jung s’est vue ostracisée à la suite de son mariage et avoir annoncé son désir de maternité. « Les droits humains des sportifs sont violés, se sont insurgées les joueuses dans une lettre au Comité olympique et sportif coréen (KSOC). C’est devenu insupportable. »
Se disant victimes d’une lutte de pouvoir au sein de la Fédération, les joueuses ajoutent que leurs entraîneurs ont conservé l’argent gagné lors de plusieurs compétitions internationales. Selon la presse locale, il est question de plusieurs dizaines de milliers de dollars, accumulés depuis 2015.
Dans un pays où le système sportif est très hiérarchisé, les entraîneurs disposent d’un immense pouvoir : ils peuvent dicter le déroulement de la carrière d’un sportif, parfois plus en fonction des relations qu’ils entretiennent avec lui qu’en raison de son niveau sportif. Une situation d’autant plus visible dans le tout petit monde du curling coréen.
La chute du parrain
Dans son fief d’Uiseong, la discipline s’est développée depuis 1994 autour de la famille de Kim Kyung-doo. Lui s’est hissé jusqu’à la vice-présidence de la Fédération coréenne de curling (KCF). Sa fille, Kim Ming-jun, est devenue l’entraîneuse principale de la « Team Kim », et son mari, qui a joué dans l’équipe nationale masculine, gère leurs affaires financières et administratives.
Limogé par la fédération pour ne pas avoir organisé d’élection à la présidence de l’organisation – dont il tenait les rênes provisoirement –, Kim Kyung-doo s’est retrouvé dans la tourmente. Et a utilisé, à en croire les joueuses, la « Team Kim » pour faire pression sur la KCF.
Incitant l’équipe à ne pas prendre part à la compétition nationale, le parrain du curling coréen leur a fait perdre leur statut d’équipe nationale, et la possibilité de participer aux compétitions internationales. « Nous ne pouvons que nous dire que nous sommes des pions dans leurs différends personnels. Nous sommes au point mort depuis les JO et nous sommes malheureuses », ont déclaré les sportives d’une seule voix.
Après avoir écarté les vice-championnes olympiques de l’équipe nationale – qui a basculé du 7e au 14e rang mondial –, Kim Kyung-doo a annoncé sa démission mardi, accompagnée de celle de sa fille et de son gendre.
Les cinq membres de la « Team Kim », elles, se sont mises en quête d’un nouvel entraîneur. Ensemble. Car, comme le concluait leur capitaine avant la finale olympique : « On a appris à curler ensemble, et on continue comme une équipe d’amies. Ce ne serait pas pareil si on n’était pas ensemble. »
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