Manifestation d’étudiants aux Beaux-Arts de Paris, le 3 décembre 2018. / Maud Le Garzic / ANDEA

Tribune. Récemment, la France a envoyé deux puissants signaux à destination des pays africains, avec lesquels bon nombre des écoles supérieures d’art et de design françaises collaborent.

Le premier fut la décision du président Emmanuel Macron de « restituer sans tarder 26 œuvres réclamées par les autorités du Bénin, prises de guerre du général Dodds dans le palais de Béhanzin, après les sanglants combats de 1892 », suivant ainsi les préconisations du rapport de Bénédicte Savoy et Felwine Sarr sur la restitution du patrimoine culturel africain.

Le second fut l’annonce par le premier ministre, Edouard Philippe, de l’augmentation des frais d’inscription des étudiants non européens dans les universités françaises – l’une des mesures, disait-il alors, permettant de renforcer l’attractivité de la France et de soutenir l’ambition du projet « Choose France ».

Ces deux signaux émis « en même temps » ont de quoi troubler : le premier propose, avec les restitutions d’œuvres présentes par milliers dans les musées européens (70 000 au seul Quai Branly), de fonder « une nouvelle éthique relationnelle » avec les pays africains. Le second, en insistant sur l’objectif d’attirer des étudiants de pays non africains (et non francophones), menace d’assécher considérablement les liens avec l’Afrique et sa jeunesse.

Le gouvernement promet bien quelques bourses supplémentaires, mais en faisant un seul cas de la jeunesse du monde extra-européen dans son entier ; et alors que l’on sait que 45 % de ces étudiants viennent d’Afrique, la stratégie proposée apparaît fondamentalement discriminatoire. Ce qui apparaît est une règle économique de base : modifier la clientèle par le prix de l’objet (une inscription à 2 770 euros au lieu de 170 en licence, de 3 770 euros au lieu de 243 en master et 380 en doctorat). Les étudiants africains peuvent, a minima, se sentir les laissés-pour-compte de cette nouvelle stratégie.

Enthousiasmante jeunesse

En ce qui concerne l’Association nationale des écoles supérieures d’art, nous déclarons sans ambiguïté choisir le mouvement proposé par le premier signal et refusons de participer à l’émission du second tant qu’il ne sera pas augmenté d’une véritable politique concertée avec les pays extra-européens en question. Il y a en effet dans le rapport sur la restitution du patrimoine culturel africain et dans le geste d’Emmanuel Macron initié à Ouagadougou, en novembre 2017, tous les ingrédients permettant de construire un nouveau type de relation avec l’Afrique et son enthousiasmante jeunesse.

Bénédicte Savoy et Felwine Sarr écrivent : « L’ultime sens de la démarche des restitutions de biens culturels africains est de fonder une autre éthique relationnelle. En travaillant l’espace du symbolique, celui-ci devient tectonique ; ses répliques et les nouvelles valeurs qu’il charrie ne laisseront indemne aucun lieu d’échange entre les sociétés africaines et européennes (l’économique, le politique, le sociétal). Les restitutions des biens culturels africains initient donc une nouvelle économie de la relation, dont les effets ne sauraient se limiter à l’espace culturel ou à celui des échanges muséographiques. »

Si, comme tout semble l’indiquer, le mouvement des restitutions est enfin lancé, il donnera l’occasion à tous les concernés de mettre au travail une histoire qui produit encore aujourd’hui les effets mortifères que l’on sait. Il contribuera, du moins peut-on l’espérer, à avancer enfin en dehors des rets de la colonialité.

« Ces objets, qui pour une grande part ont été arrachés à leurs cultures d’origine par la violence du fait colonial, qui ont pérégriné à leur corps défendant, mais ont été accueillis et soignés par des générations de conservateurs dans leurs nouveaux lieux de vie, portent désormais en eux une part irrémédiable d’Afrique et d’Europe, écrivent les auteurs du rapport. Ayant incorporé plusieurs régimes de sens, ils sont devenus des lieux de la créolisation des cultures et sont de ce fait armés pour œuvrer comme les médiateurs d’une nouvelle relationalité. »

Passerelles artistiques

Nous, écoles supérieures de la création artistique, participerons autant que nous le pourrons à l’édification de cette « nouvelle relationalité ». C’est pourquoi, en vertu de la responsabilité qui est la nôtre, à travers les professionnels que nous formons, dans la configuration visuelle, matérielle et imaginaire du monde de demain, nous ne voulons pas inaugurer ce qui pourrait être une nouvelle époque en augmentant sans plus de discussion de 1 400 % nos frais d’inscription pour la jeunesse du continent africain.

Plutôt que de commencer par installer des barrières économiques, nous multiplierons les passerelles artistiques et nous ferons en sorte de continuer d’accueillir les futurs artistes, designers, créatrices et créateurs venant d’Afrique, mais aussi d’Asie, du Moyen-Orient, d’Amérique du Sud, etc.

Si cette jeunesse le désire, elle trouvera dans nos écoles les moyens de ne pas manquer le rendez-vous que propose le rapport de Bénédicte Savoy et Felwine Sarr : elle apprendra à faire advenir des formes (films, expositions, installations, objets, meubles, éditions, scénographies, dispositifs multimédias…) qui, tout en affrontant de manière critique la morbide histoire de la colonialité, sauront « stimuler les échanges et le dialogue ».

Ces artistes, créatrices et créateurs, ne feront qu’une partie de cet immense travail, mais ils feront assurément leur part. Cette perspective ouverte par les restitutions, qui vise un monde commun et pacifié, un monde dans lequel l’axe Sud-Nord n’est pas une succession de murs et de barbelés doublés de guichets où l’on paye en dollars ou en euros, nous apparaît autrement désirable que celle d’une énième tentative d’extraction de richesses au seul profit de quelques-uns.

Le conseil d’administration de l’Association nationale des écoles supérieures d’art.