La finale de la Copa Libertadores, loin des yeux, loin du cœur
La finale de la Copa Libertadores, loin des yeux, loin du cœur
Par Maxime Goldbaum
Le match retour entre les deux rivaux argentins Boca Juniors et River Plate a été délocalisé à Madrid, dimanche soir, après les incidents survenus à Buenos Aires.
Des supporteurs de Boca Juniors dans les rues de Madrid, le 8 décembre. / SUSANA VERA / REUTERS
C’est finalement à 10 000 kilomètres du Stade Monumental de Buenos Aires que va se jouer le match retour de la finale de la Copa Libertadores, dimanche 9 décembre, entre River Plate et Boca Juniors. Madrid va accueillir la rencontre entre les deux grands rivaux du football argentin, deux semaines après les violents incidents qui ont poussé la Confédération sud-américaine (Conmebol) à délocaliser le match hors d’Argentine. Une décision qui ne satisfait personne mais qui fait toutefois quelques heureux au sein de la diaspora argentine.
River Plate et Boca Juniors se sont chacun vu attribuer 25 000 billets pour leurs supporteurs, dont 5 000 accordées à ceux vivant en Argentine. Les 80 000 places du stade Bernabeu ne seront toutefois pas toutes occupées, une zone vide séparant les deux groupes de supporteurs rivaux ayant été prévue.
« Madrid ? C’est une bonne destination car ça me permet d’y aller », s’amuse Carlos Muguruza, 56 ans, patron de la pena (groupe de supporteurs) de Boca Juniors à Paris, créée en juillet 2013 et reconnue officiellement par le club argentin.
Accoudé au comptoir de l’un de ses trois restaurants à Paris - le Volver, bien connu des joueurs argentins passés par le PSG - l’homme consulte régulièrement son téléphone, qui ne cesse de sonner. Il sera du voyage à Madrid avec une cinquantaine de ses compatriotes exilés dans la capitale française.
D’autres viendront des Etats-Unis, du Canada et de Suède, assure-t-il. L’organisation relève du système D, chacun s’étant procuré une place pour le match par ses propres moyens, mais tous se sont retrouvés à Madrid samedi matin.
Frustration dans les deux camps
« On a essayé de se réunir pour acheter les places ensemble, mais c’était trop compliqué », abonde son homologue de River Plate, Christian Aaron, 40 ans, chef de réception en hôtellerie, à l’origine d’une pena sur Paris, mais celle-ci non reconnue par le club. « C’est un copain en Espagne qui m’a appelé pour me dire qu’il avait deux places en trop. »
Il sera accompagné d’une quinzaine de compatriotes. Comme pour Boca Juniors, des supporteurs viendront du Danemark, du Maroc, de la Tunisie et des Etats-Unis. Le week-end leur reviendra aux alentours de 500 euros. Un montant « accessible pour un match de cette importance, pour quelqu’un qui habite en Europe », estime-t-il. En revanche, plus compliqué pour les supporteurs vivant en Argentine.
Ces derniers auront dû débourser 3 600 pesos (84 euros), soit environ un quart du salaire moyen en Argentine. Sans compter, évidemment, le billet d’avion et l’hébergement, ni les clubs ni la Conmebol n’ayant choisi d’aider financièrement ces supporteurs, pour un voyage dont le coût total est estimé à 2 000 euros. En conséquence, seuls 6 000 billets sur les 10 000 mis en vente ont trouvé preneurs, selon l’Agence France Presse.
Ce qui était présenté comme la « finale du siècle » génère aujourd’hui une grande frustration dans les deux camps. Tous se sentent lésés. Les supporteurs de Boca Juniors estiment que River Plate aurait dû perdre cette finale sur tapis vert.
« Ce qui aurait été juste, c’est que la Conmebol donne le titre à Boca. Comme ils l’ont fait pour River en 2015 (Boca Juniors avait alors été disqualifié pour des incidents survenus en huitièmes de finale de la Copa Libertadores face au même club de River Plate). Mais ce club est protégé en raison des liens étroits entre ses dirigeants et certains membres haut placés au sein de la Conmebol », avance Carlos Muguruza.
Le tribunal arbitral du sport a rejeté, samedi, le dernier recours de Boca pour être désigné vainqueur de cette Copa Libertadores sur tapis vert.
Finale de la « honte »
Les supporteurs de River, eux, se plaignent de ne pouvoir jouer la finale retour dans leur antre du Monumental, devant 70 000 personnes : « le match aller se jouait à la Bombonera, avec uniquement des supporteurs de Boca. Le match retour se dispute sur un autre continent, avec les supporteurs des deux équipes. Ce n’est pas normal », se lamente Christian Aaron, qui confesse que « l’excitation est un peu redescendue. »
A l’unisson, dirigeants et joueurs des deux équipes ont aussi fait part de leur désapprobation de disputer sur un autre continent cette finale de la « honte », selon les propos du président de River Rodolfo D’Onofrio. « C’est lamentable, a surenchéri Guillermo Barros Schelotto, entraîneur de Boca Juniors. Malheureusement, nous n’apprenons pas de nos erreurs, nous les répétons sans cesse et la victime, c’est l’image du football argentin et de l’Amérique du Sud. Aujourd’hui, nous devrions être en train de parler de la manière dont River et Boca ont ramené le football argentin au sommet (…) et nous parlons de la violence ».
Le choix du stade Santiago Bernabeu, dans un pays qui compte une forte communauté argentine (115 000 selon les chiffres officiels) et dans une ville aux liens culturels étroits avec Buenos Aires, paraît toutefois un moindre mal pour les deux clubs, alors qu’Abu-Dhabi ou même Paris avaient été un moment évoqués pour accueillir cette rencontre.
Le stade madrilène met un peu de piment à une rencontre qui n’en manquait pourtant pas. « C’est un stade mythique, mais pour nous, c’est comme si on était un peu au Monumental, s’emporte Carlos Muguruza. Le Real Madrid c’est l’équipe de Franco, River celle des généraux. Ce sont deux clubs de l’establishment. On se sent plus proche du Barça dans l’histoire et les valeurs. »
On l’oublierait presque, mais l’enjeu sportif demeure. En cas de victoire, Boca Juniors égalerait le club argentin d’Independiente avec sept trophées en Copa Libertadores. River Plate, de son côté, pourrait réduire l’écart avec son rival en remportant une quatrième couronne.
Une finale sous haute surveillance
(AFP) - Triple cordon de sécurité, 4 000 agents mobilisés : après les violences en Argentine, Madrid a blindé dans l’urgence son dispositif pour la finale retour de la Copa Libertadores. Plus de 2 000 policiers nationaux vont être mobilisés, a annoncé la préfecture. Outre la police nationale, 1 700 agents de sécurité privés seront aussi mobilisés par le Real Madrid, le propriétaire du stade, et 150 policiers municipaux par la mairie. Deux « fan-zones » vont être établies sur la célèbre avenue de la Castellana, de part et d’autre du stade, et deux places seront réservées pour célébrer le vainqueur: la Puerta del Sol si River est champion et la place Colon si Boca l’emporte.