Que se passerait-il si tout le monde était végan ?
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A l’occasion de la COP24 qui se tient en Pologne, Le Monde, s’interroge toute la semaine sur les manières de lutter contre le dérèglement climatique. Ce mardi : peut-on continuer à manger autant de viande ? Cyrielle Denhartigh, de Réseau action climat, a répondu aux questions des internautes.

Simon : Bonjour, on entend souvent parler des liens entre viande, climat et santé ; mais c’est peu clair pour moi : est-ce que ce sont les gaz de l’élevage, l’impact sur les sols ou le transport de la viande qui impactent le climat ? Idem pour la santé, est-ce que c’est trop de viande qui est nocif, ou est-ce la « mauvaise » viande transformée par l’agro-industrie ?

Cyrielle Denhartigh : La consommation de viande représente environ la moitié des émissions de gaz à effet de serre (GES) liées à notre alimentation et les produits laitiers correspondent à 15 %. Un autre chiffre qui parle bien : la production d’un kilo d’un bœuf émet 18 kilos de gaz à effet de serre. Quand la production d’un kilo de lentilles en émet 0,2.

L’élevage émet beaucoup de GES, notamment avec les rots des ruminants, les déjections et la production et l’importation des grains avec lesquels on les nourrit (par exemple les tourteaux de soja importés d’Amérique latine). Plus spécifiquement, ce sont bien les élevages industriels qui émettent le plus de GES, liés à la concentration extrême des animaux, aux énormes quantités de produits importés pour les nourrir.

La bonne nouvelle, c’est que réduire sa consommation de viande, c’est bon pour le climat, mais aussi pour la santé. Le rapport de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) de 2015 l’a confirmé. Réduire sa consommation de viandes rouges et de charcuteries préviendrait la recrudescence des maladies chroniques telles que les maladies cardiovasculaires, les diabètes de type 2 et certains types de cancers.

Nina : Au-delà des choix de consommation individuels, quelle est la responsabilité des pouvoirs publics et des industriels, et comment doivent-ils organiser la transition vers une agriculture plus végétale ?

Les pouvoirs publics ont une responsabilité, celle d’accompagner l’évolution de la demande alimentaire. Quand on parle d’alimentation, ce n’est pas dire aux gens ce qu’ils doivent manger, c’est les informer de façon claire et indépendante. Et là, les pouvoirs publics ont leur rôle à jouer.

C’est pour cela que nous demandons que le ministère de la santé lance une vaste campagne d’information afin d’éclairer les citoyens sur une alimentation bonne pour la santé et pour le climat. Le ministère doit également faire que le citoyen puisse de façon claire et en un coup d’œil lire les étiquettes des produits alimentaires (ce que l’on appelle le Nutri-Score, qui a été adopté par le Parlement, mais rendu facultatif pour les industries de l’agroalimentaire).

Aujourd’hui, c’est justement l’industrie agroalimentaire qui produit des aliments de mauvaise qualité et qui communique massivement à travers la publicité. Et là où le marketing est le plus agressif, c’est en direction des enfants. Donc on demande une interdiction de la publicité des produits agroalimentaires aux heures d’écoute des plus jeunes.

Chat teigneux : Je ne mange pas tous les jours de la viande, loin de là. Mais je suis plus qu’irrité d’entendre ça et là qu’il faudrait renoncer à la viande notamment par les antispécistes. Ne vaut-il mieux pas dire tout simplement qu’il faut privilégier la qualité à la quantité ?

Il n’est pas question de distribuer les bons et les mauvais points et de dire aux citoyens ce qu’ils doivent manger en les culpabilisant. Ce qu’on doit garder en tête, c’est que le gouvernement français s’est lui-même engagé dans des objectifs climat : la neutralité gaz à effet de serre d’ici à 2050. Pour atteindre cet objectif, il faudra passer par une division par deux, en moyenne, de la consommation de viande.

A l’intérieur de cette moyenne, les choix alimentaires des citoyens peuvent être le végétarisme, le véganisme, le flexitarisme et consommer une viande de bonne qualité.

Alex : On entend tout et son contraire sur les aliments qui peuvent remplacer les apports nutritionnels de la viande. Y-a-t-il un consensus sur les aliments à privilégier pour garder un régime équilibré et pour réduire son impact environnemental ?

Oui, il existe un consensus des scientifiques pour dire qu’il est possible de remplacer tout ou partie de la viande de notre régime alimentaire. Les acides aminés essentiels contenus dans la viande se trouvent également dans différentes protéines végétales.

Pour remplacer les protéines animales, on peut ainsi se tourner vers les légumineuses (lentilles, haricots rouges, blancs, pois cassés, pois chiches, fèves, etc.) associées à des céréales complètes. On peut aussi trouver toute une gamme de produits à partir de soja (tofu, graines de soja…). D’autres sources de protéines se trouvent également vers les fruits à coques (noix, noisettes…), le brocolis, les graines de courge, etc. Souvent parmi les produits peu transformés et en vrac, ces achats peuvent également être très économiques.

JJ : On parle beaucoup de l’impact de la viande sur notre environnement, mais quel est le coût des céréales comme le quinoa et bien d’autres qui viennent d’Amérique latine ou d’autres pays ? Est-ce que la culture et le transport de ces céréales/légumes n’auraient pas plus d’impact que la viande sur l’environnement si tout le monde mangeait des légumes ?

Pour remplacer les protéines animales, il existe une multitude d’alternatives, l’important est de varier les plaisirs et de ne pas tout miser sur une solution. Effectivement, les légumes secs « made in France » et issus de filières qualité (lentilles du Berry, lentilles vertes du Puy, les mogettes, etc.) sont probablement moins néfastes pour le climat que des produits importés et/ou très transformés (steak de soja, quinoa importé, etc.).

Cela étant dit, il existe quelques filières naissantes de quinoa et de soja françaises dans le Sud-Ouest notamment. Et quoi qu’il en soit, la production d’un kilo de céréales a un impact vingt fois moindre sur le climat que celle d’un kilo de bœuf.

Robinson : Y a-t-il à ce jour des projets plus globaux de taxe sur les produits carnés ou d’autres mesures visant à réduire la consommation de viande à une plus grande échelle ?

Il existe quelques études sur la taxation de la viande, mais ce n’est pas du tout d’actualité en France. Il serait peut-être plus intéressant d’envisager une taxe sur les produits très transformés et a fortiori les plats préparés contenant de la viande pour leurs effets nocifs sur la santé et sur l’environnement.

Au-delà du signal sur le prix, c’est bien d’un ensemble de politiques publiques dont on a besoin. A savoir : une campagne d’information indépendante, une réglementation de l’étiquetage (Nutri-Score), l’interdiction de la publicité alimentaire à destination des enfants, un renforcement du rôle de prévention des caisses primaires d’assurance-maladie et de celui des politiques locales (cantines par exemple), etc. Ce sont les politiques publiques qui sont garantes d’une égalité face à l’alimentation. Les avantages santé de la diminution de la consommation de viande doivent être profitables à tous.

Kerri : La FAO estime qu’un tiers de la nourriture produite pour l’alimentation humaine n’est pas consommée (gaspillage alimentaire). Pourquoi ne pas commencer par réduire ce gaspillage, qui aurait un impact important sur le climat, sans même changer nos habitudes de consommation ?

Le dernier rapport du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), sorti en octobre 2018, l’a rappelé une fois de plus : il est plus qu’urgent d’agir à tous les niveaux. Afin d’honorer nos objectifs de lutte contre les changements climatiques, les politiques publiques doivent permettre de lutter contre le gaspillage alimentaire, effectivement. Le bon côté des choses, c’est que ces évolutions sont meilleures pour la santé et bonnes pour le porte-monnaie.

Mais aussi dans le même temps, de diminuer la consommation de produits animaux, de produits transformés, trop emballés, importés de l’autre bout du monde ou encore hors saison. L’étude du Crédoc (Centre de recherche pour l’étude et l’observation des conditions de vie) a d’ailleurs montré que la consommation de viande en France a baissé pour la première fois de 12 % entre 2007 et 2016. Et c’est aussi en poussant les industriels à prendre leurs responsabilités que nous arriverons à respecter nos objectifs.

Comment agir pour le climat ? « Le Monde » se mobilise pendant une semaine

Que faire face au défi du changement climatique ? Comment agir, concrètement, à l’échelle individuelle ou collective ? Les initiatives citoyennes ont-elles un sens alors que c’est tout le système qu’il faudrait faire évoluer pour espérer limiter les effets du dérèglement ? Alors que la COP24 sur le climat s’est ouverte, dimanche 2 décembre, en Pologne, la rédaction du Monde se mobilise autour de ces questions. Au-delà du constat de l’urgence, nous avons voulu nous interroger sur les solutions existantes ou à explorer.

Chaque jour, pendant une semaine, des personnalités, expertes de leur domaine et engagées au quotidien, répondront en direct aux questions des internautes :

  • Peut-on se passer de la voiture ? Jérémie Almosni, chef du service Transport et mobilités à l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (Ademe), a répondu aux questions des internautes lundi 10 décembre.
  • Peut-on continuer à manger autant de viande ? Le chef cuistot Adrien Zedda, du resto lyonnais Culina Hortus et Cyrielle Denhartigh, responsable agriculture et alimentation pour Réseau Action Climat ont répondu à vos questions mardi.
  • Peut-on se chauffer autrement ? Dialoguez avec Jean-Baptiste Lebrun, directeur du CLER – réseau pour la transition énergétique, mercredi à 11 h 45.
  • Peut-on consommer moins ? Le politologue Paul Ariès discutera avec les internautes jeudi à 14 h 30.
  • Et, finalement, peut-on peser collectivement ? Le youtubeur écolo Nicolas Meyrieux, engagé dans la campagne « On est prêt », répondra à vos questions vendredi à 17 heures.