LES CHOIX DE LA MATINALE

Sur grand écran cette semaine, Une affaire de famille, le film le plus puissant du Japonais Hirokazu Kore-eda, un Spider-Man nouvelle génération, et Mortal Engines, éloge de la rébellion dans les vapeurs du futur pour adolescents.

« Une affaire de famille » : l’amour à la dérobée

UNE AFFAIRE DE FAMILLE - Palme d'Or Cannes 2018
Durée : 03:08

Ce film, le plus beau, le plus émouvant, le plus puissant de son auteur, pourrait porter en exergue ce vers de Bob Dylan : « Pour vivre hors la loi, il vous faut être honnête. » La famille du titre français vit, entre autres, de larcins dans les magasins qu’évoque le titre international Shoplifters (« voleurs à l’étalage »).

Une affaire de famille fait de cette tribu le lieu de l’affrontement entre la règle sociale et l’exigence de justice, entre les interdits et l’assouvissement des désirs. De la révélation de cette petite communauté cachée dans les marges de la société japonaise à son explosion, Hirokazu Kore-eda construit un récit rigoureux fait de dévoilements successifs, de retournements bouleversants, mis en scène avec la grâce qu’on lui connaît, augmentée cette fois d’une vigueur sensuelle inédite.

Aux premiers plans, sur le visage d’un petit garçon, dans un supermarché, on ne voit que la comédie presque burlesque du vol à l’étalage. Shota (Kairi Jyo) fait glisser des sachets de nourriture industrielle dans son sac à dos pendant qu’Osayu (Lily Franky), qui pourrait bien être son père, fait écran. Sur le chemin qui les ramène chez eux, ils aperçoivent une petite fille seule, dans le froid, qu’ils finissent par ramener dans leur maison, un pavillon d’une pièce, coincé dans un petit jardin minable.

Là vivent aussi une vieille femme (Kiki Kirin), Nobuyo (Sakura Ando), compagne d’Osayu, et une très jeune fille, Aki (Mayu Matsuoka). S’engage alors un débat emprunté à Victor Hugo sur le devoir ou non de garder l’enfant au sein de cette famille. Au fil des saisons, la rencontre entre spectateurs et personnages reste une découverte perpétuelle. Kore-eda filme l’œuvre de la vie et du temps sur ses personnages, façonnés aussi bien par les coups que leur porte le monde qui les entoure que par les liens complexes qui les rassemblent. Thomas Sotinel

« Une affaire de famille », film japonais d’Hirokazu Kore-eda. Avec Sakura Ando, Lily Franky, Kiki Kirin, Mayu Matsuoka, Kairi Jyo, Miyu Sasaki (2 h 02).

« Spider-Man : New Generation » : l’homme-araignée ressuscité

SPIDER-MAN New Generation - NOUVELLE Bande Annonce (2018) Film d'Animation
Durée : 02:53

Si le concept de plasticité caractérise les super-héros, Spider-Man, l’homme-araignée, en est la quintessence. Ce qui est vrai de sa nature l’est aussi de ses multiples déclinaisons, dignes d’un des personnages les plus populaires du nouvel Olympe américain.

Côté grand écran, Sony, qui a acheté les droits d’exploitation cinématographique du super-héros à la société Marvel en 1999, mène la danse depuis 2002, avec la légendaire trilogie signée par Sam Raimi. Deux reboots (« remise à zéro des compteurs ») plus tard, et l’on compte déjà six films et trois acteurs pour illustrer les charmes de l’adolescent arachnéen.

Le rapprochement du studio Marvel racheté par Disney et de Sony, pousse à une modernisation du héros, dans l’esprit de la ligne éditoriale ultimate développée depuis 2000 dans la bande dessinée. Spider-Man : Homecoming (2017), de Jon Watts, dernière mouture cinématographique en date, allait dans cette direction, sans oser cependant égaler l’audace multiculturaliste de l’Ultimate Spider-Man créé sur papier par Brian Michael Bendis, qui décrétait en 2011 la mort de Peter Parker et sa résurrection sous les traits de Miles Morales, un adolescent hispano-afro-américain de Brooklyn.

Mais ce que la multinationale nippone s’est refusée à faire en prises de vue réelles, elle se le permet aujourd’hui en dessin animé, avec New Generation qui s’avère une réussite tenant à plusieurs raisons. Le retour aux sources esthétiques des comics tout d’abord, grâce à un graphisme qui en rappelle la liberté psychédélique et l’explosivité narrative. La distanciation et l’humour qui en résulte. Cela sur fond d’un rendu finement réaliste du timing, de la colorimétrie et de la pulsation de Brooklyn. Jacques Mandelbaum

« Spider-Man : New Generation », film d’animation américain de Peter Ramsey, Bob Persichetti et Rodney Rothman (1 h 50).

« Mortal Engines » : dans les vapeurs du futur

Mortal Engines - Official Trailer 2 (HD)
Durée : 02:25

Dans un futur très lointain, postapocalyptique, la Terre est composée de villes montées sur de monumentales chenilles. Les grandes métropoles absorbent les petites cités. Dans ce monde d’étranges prédations immobilières et urbaines, une jeune fille, Hester, se lance à la recherche de l’homme qui a tué sa mère. Tom, un jeune niais, s’enfuit avec elle. A la fois proies et chasseurs, ils tentent d’empêcher l’usage, par un dictateur, d’une arme de destruction massive destinée à accroître la puissance impérialiste de Londres.

Ce qui frappe immédiatement en voyant le film de Christian Rivers – adaptation du roman Mécaniques fatales, de Philip Reeve – est l’inventivité d’un univers visuel semblant rendre possible ce qui pourrait relever de l’infigurable, comme si les trouvailles d’un Serge Brussolo, (référence qui saute aux yeux), prenaient vie sous nos yeux grâce aux dernières possibilités des effets spéciaux numériques.

Mais Mortal Engines souffre d’un défaut assez répandu dans un certain cinéma hollywoodien contemporain. La fiction s’y nourrit des dernières possibilités de la technologie en matière visuelle mais ne parvient pas à se dégager des sentiers battus.

La création d’univers fantastiques ne produit pas, en effet, de nouvelles manières de raconter des histoires et de peindre des portraits psychologiques. Le film relève d’une culture pour adolescents aux contours balisés, où toutes sortes de clichés et de situations types sont reproduites afin de ne pas déboussoler un spectateur modèle, que l’on suppose jeune et mondial. Jean-François Rauger

« Mortal Engines », film américain de Christian Rivers. Avec Hera Hilmar, Hugo Weaving, Robert Sheehan (2 h 08).