L’équipe Sky, le 10 juillet lors de la quatrième étape du Tour de France. / Peter Dejong / AP

Taille des équipes, plafond salarial ou contrôle des moteurs dans les vélos : depuis des années, le cyclisme cherchait dans son règlement la parade à la domination de Team Sky. La solution était en fait dans la recomposition du marché des câblo-opérateurs. Deux mois après le rachat du leader européen de la télévision payante par le groupe américain Comcast, Sky a pris la décision d’arrêter de financer, à l’issue de la saison 2019, la meilleure équipe du début de siècle.

L’opérateur anglais l’a annoncé mercredi 12 décembre. Dave Brailsford, le patron gallois incarnant Team Sky depuis sa création en 2010, l’avait appris deux semaines plus tôt, et les coureurs et l’encadrement de l’équipe la veille au soir, lors d’une réunion qui a sans nul doute plombé l’atmosphère au camp d’entraînement de Majorque (Espagne).

Les dix ans de soutien d’une équipe cycliste par Sky étaient déjà une anomalie, dans l’économie de ce sport. Cette longévité devait notamment à l’intérêt porté au vélo par James Murdoch, président du groupe. Le rachat par Comcast a provoqué son départ et la remise en question des quelque 40 millions d’euros dépensés en 2018 pour l’équipe cycliste.

« Ils ont regardé leurs projets pour l’avenir, évalué tous leurs engagements actuels et décidé qu’ils devaient faire certaines choses différemment, décrypte Fran Millar, directrice des opérations de Team Sky. Les changements chez eux en appellent chez nous, mais ils nous donnent une année pleine pour trouver le bon partenaire. »

Monstre déconnecté de la réalité économique

Le groupe Sky étant propriétaire de l’équipe, et non simple sponsor, il a tout intérêt à l’aider à trouver un repreneur, sans quoi il pourrait être pris dans des négociations complexes avec ses coureurs sous contrat. Dans les faits, Dave Brailsford, qui conserve malgré les scandales une certaine aura en Grande-Bretagne, n’aura pas un an pour trouver son bienfaiteur : « La limite que nous nous fixons pour signer est le Tour de France, dit Fran Millar, mais si nous n’avons pas de piste très sérieuse fin avril, début mai, il faudra être réaliste et le dire aux coureurs. Car on parle d’une somme conséquente. »

C’est tout le problème : en convaincant son sponsor chaque année de mettre un peu plus au pot, au point de devenir rapidement l’équipe la plus riche du monde avec une certaine marge – le budget de l’équipe AG2R de Romain Bardet, par exemple, n’atteint pas la moitié de celui de Sky –, Dave Brailsford a créé un monstre déconnecté de la réalité économique du cyclisme. Les groupes susceptibles de consacrer cette somme à du sponsoring sportif sont peu nombreux. La direction de l’équipe prospecte d’ailleurs essentiellement hors de ses frontières, dans le contexte du Brexit qui empêche les entreprises britanniques de s’engager.

La décision a pris à revers la direction de l’équipe Sky qui avait initialement compris qu’elle ne serait pas une victime collatérale du rachat par Comcast. Dave Brailsford se projetait jusqu’en 2024 et, depuis la saison dernière, recrutait la crème des jeunes coureurs du peloton pour préparer la succession de Christophe Froome (33 ans) et Geraint Thomas (32). En octobre, le Colombien Egan Bernal, 21 ans, a signé un plantureux contrat de cinq ans, une durée rarissime dans ce sport.

Si aucune annonce n’est faite au printemps, les rivaux de Team Sky tournoieront de plus en plus près de sa carcasse, à l’affût des coureurs de l’équipe. Le risque sportif est majeur : les leaders pourraient être tentés de jouer leur carte personnelle pour décrocher un bon contrat, quand la force de la Sky repose aussi dans sa capacité à faire accepter le sacrifice pour un seul.

L’entente « cordiale » entre Thomas et Froome sur le dernier Tour de France n’aurait pas existé si, en parallèle de la course, chacun était occupé à négocier un contrat dont la valeur serait déterminée par sa place finale. Mardi, toutefois, Dave Brailsford et ses coureurs faisaient assaut d’optimisme à Majorque. Le repreneur éventuel aura en effet la garantie de racheter une méthode qui marche et des coureurs qui gagnent. Mais en aucun cas la certitude de rendre sa marque populaire.

Un impact aussi fort que son impopularité

A l’heure du droit d’inventaire, le bilan de dix ans de Team Sky sera forcément tout en nuances. Au-delà des six Tours de France remportés avec trois coureurs différents, son impact aura été considérable. Dans le peloton d’abord, même si Team Sky n’a pas, comme il semble le prétendre, réinventé la roue. En Grande-Bretagne ensuite : le pays a découvert que le cyclisme pouvait s’exercer en dehors des vélodromes et que l’on pouvait naître dans une maison de briques, à des milliers de kilomètres du moindre col, et grimper plus vite qu’un Colombien.

Pourtant, lorsque l’on racontera, dans les chaumières du Yorkshire, l’histoire de Team Sky, sera-ce un conte de fées ou une histoire de sorcières ? Le roman de l’équipe Renault des charismatiques Cyrille Guimard et Bernard Hinault, ou le livre noir de l’US Postal des cyniques Johan Bruyneel et Lance Armstrong ?

Le dernier Tour de France, durant lequel des vagues de sifflets sur le bord des routes accompagnaient les coureurs de la Sky, a montré l’ampleur de l’impopularité d’une équipe accusée non seulement de gagner trop souvent, mais aussi de le faire de manière trop mécanique et calculée.

Dans un sport dont les fans ont été trompés depuis vingt ans avec une régularité de métronome, chaque victoire a alimenté les soupçons, notamment contre Christopher Froome, quadruple vainqueur du Tour après avoir été un coureur moyen jusqu’à ses 26 ans. Et la domination de Team Sky ne gênait pas qu’au bord de la route mais jusqu’aux bureaux d’ASO, propriétaire du Tour, et de l’Union cycliste internationale.

Les deux dernières années ont mis en évidence la tendance de la Sky à, au minimum, exploiter la zone grise de la législation antidopage. La saga du contrôle anormal de Froome, au premier semestre 2018, a fait déborder la marmite à soupçons qui chauffait déjà à gros bouillons.

En mars, un rapport parlementaire britannique a conclu que la mission que s’était fixée l’équipe, « gagner proprement », n’avait pas été remplie. Et un nouvel épisode de l’enquête sur les pratiques de Team Sky est attendu en février, avec le témoignage longtemps reporté de l’ancien docteur Richard Freeman.

Pour Sky, il était sans doute moins toxique de se concentrer sur son nouveau projet : la lutte pour la protection des océans.