Le monde politique embarrassé face au double front social des « gilets jaunes » et antiterroriste
Le monde politique embarrassé face au double front social des « gilets jaunes » et antiterroriste
Par Service politique, Manon Rescan
Après l’attaque de Strasbourg, les appels du gouvernement à ne pas manifester samedi 15 décembre, divisent.
Applaudir ou ne pas applaudir ? Débattre ou ne pas débattre ? Appeler à manifester ou ne pas appeler à manifester ? Au lendemain de l’attaque terroriste qui a fait deux morts à Strasbourg, mardi 11 décembre, en pleine crise des « gilets jaunes », le monde politique avance sur un fil. Se focaliser sur l’attaque risque de passer pour une volonté d’éclipser le mouvement social. Mais la présence d’un tueur en fuite permet-elle de laisser des manifestations se tenir ? En outre, la reprise de tout débat politique menace d’occulter le deuil strasbourgeois. Une fois n’est pas coutume, face à cette double crise, les forces politiques se sont prises à faire du « en même temps ».
Soutenir le gouvernement et en même temps le combattre. Telle est la position de La France insoumise (LFI). Mercredi, lors des questions au gouvernement, comme c’est son habitude dans les moments graves, Jean-Luc Mélenchon a commencé par plaider l’unité. « Dans ces circonstances, pour la patrie, le pire serait que ses responsables se divisent. C’est pourquoi je tiens à vous dire la totale solidarité des “insoumis” dans la traque que vous avez entreprise pour capturer l’assassin », a commencé le chef de file de LFI. Mais « ni les “gilets jaunes” ni la jeunesse mobilisée n’ayant aucune responsabilité dans cette situation, ils n’ont donc aucune raison de remiser leurs revendications », a-t-il aussitôt précisé, demandant que « la vie continue et la vie démocratique d’abord ».
Une réponse directe à ceux qui, au sein de l’exécutif, ont appelé à la fin du mouvement des « gilets jaunes » dans le contexte de tension sécuritaire. « Le mouvement doit cesser », avait affirmé mercredi matin la garde des sceaux, Nicole Belloubet, sur Public Sénat. Sur France Inter, le secrétaire d’Etat à l’intérieur, Laurent Nuñez, avait, lui, dit « espérer qu’il y aura moins de manifestations » pour l’acte V du mouvement des « gilets jaunes », samedi, comptant sur une « responsabilité générale » des Français.
Le RN très prudent
Alors que sur les réseaux sociaux circulent des thèses complotistes à propos de l’attaque de Strasbourg, l’exécutif se sait en terrain délicat, mais il a décidé de maintenir clairement une pression sur les « gilets jaunes ». « A ce stade, nous n’avons pas décidé d’interdire les manifestations qui se tiennent samedi », a déclaré, jeudi matin sur CNews, Benjamin Griveaux. Mais selon le porte-parole du gouvernement, « il n’est pas raisonnable de manifester » car « au regard » du drame de Strasbourg, « il serait préférable que ce samedi chacun puisse, de manière apaisée, vaquer à des occupations d’un samedi avant les fêtes de famille de fin d’année plutôt que de manifester et mettre à nouveau à contribution nos forces de l’ordre ».
A l’Assemblée nationale, c’est du côté de Jean-Luc Mélenchon qu’Edouard Philippe a semblé se ranger mercredi. Le premier ministre a répondu, les yeux dans les yeux, au député des Bouches-du-Rhône, un face-à-face qu’ils affectionnent tous les deux. « La meilleure façon de lutter collectivement contre le terrorisme, c’est souvent de continuer à pratiquer ce que nous croyons, la démocratie, le débat, et, d’une certaine façon, la fraternité », a déclaré le chef du gouvernement, sans dire un mot des manifestations.
Des déclarations que dans l’Hémicycle, Marine Le Pen a hésité à applaudir. La présidente du Rassemblement national s’est montrée très prudente mercredi, sur l’interdiction de manifester. « Je ne polémiquerai pas là-dessus, a-t-elle déclaré sur France 2. Si le ministre prend une décision aussi grave que celle qui consiste, dans un pays démocratique, à interdire les manifestations, c’est, je suppose, qu’il doit avoir les éléments. » En écho, le porte-parole du RN, Sébastien Chenu, a pris tout autant de pincettes, mercredi sur LCI, pour assurer que « l’urgence absolue » était à la lutte contre le terrorisme, jugeant « difficile » de laisser « des Français dans les rues, sur les ronds-points » après l’attaque de Strasbourg.
Une précaution dont ne s’est pas embarrassé Laurent Wauquiez, à la tête du parti Les Républicains. Plutôt en soutien de l’exécutif depuis quelques jours sur le front des « gilets jaunes », il en a ouvert un autre, cette fois contre le gouvernement, sur l’antiterrorisme. Deux heures et demie à peine après l’attaque, il brisait mardi soir toute unité nationale et écrivait sur Twitter : « Combien d’attentats commis par des fichés S devons-nous encore subir avant d’adapter notre droit à la lutte contre le terrorisme ? Qu’attendons-nous pour enfin livrer bataille pour éradiquer l’intégrisme qui nous a déclaré la guerre ? »
« Délai de décence »
Chez LR, il est acquis que le mouvement doit cesser. Pour Geoffroy Didier, secrétaire général délégué du parti, « la situation impose à chacun d’avoir le sens des priorités, la sécurité étant la priorité absolue ». Il faut donc, selon lui aussi, une trêve : « Dans la mesure où les manifestations ont dégénéré en violence, il est impossible pour nous de soutenir un acte V. » La puissance publique, explique le député européen, « ne doit pas avoir à gérer deux fronts à la fois ».
Mercredi, il n’y avait guère que le Parti socialiste pour ne pas faire de « en même temps ». Toute la journée, Olivier Faure, le premier secrétaire du parti, a plaidé pour un « délai de décence », en demandant le report du débat sur la motion de censure qui doit avoir lieu jeudi à 16 h 30. « On ne discute pas de la censure d’un gouvernement au moment où celui-ci est concentré sur la traque d’un terroriste. Imaginez ce qu’en pensent les familles de victimes ? », s’est-il échiné à répéter. Mais le président de l’Assemblée, Richard Ferrand, lui a opposé une fin de non-recevoir. La date de débat avait été actée le matin même avec l’accord d’un représentant socialiste.
Communistes et « insoumis », cosignataire de la motion, ne demandent pas de report. Avant même cette décision, M. Faure craignait que Richard Ferrand veuille maintenir la discussion pour en faire un « débat biaisé » et « pouvoir dire [à la gauche] : “vous êtes des séditieux” ». Le débat aura bien lieu jeudi, donnant à l’exécutif l’occasion de montrer qu’il se bat sur tous les fronts. La crise des « gilets jaunes » et la lutte contre le terrorisme. En même temps.
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