Festival des Récréatrales, à Ouagadougou, le 3 novembre 1998. Sur une sculpture sont juxtaposés les portraits du journaliste assassiné Norbert Zongo et de François Compaoré, frère de l’ex-président Blaise Compaoré, considéré comme l’un des principaux suspects. / ISSOUF SANOGO / AFP

Dans les rues de Ouagadougou, au Burkina Faso, un visage, moustachu et grave, s’affiche sur les murs de la ville. En dessous, la même injonction se répète en un coup de peinture : « Justice pour Norbert Zongo ! » Vingt ans jour pour jour après l’assassinat du journaliste d’investigation, les Burkinabés réclament toujours que la lumière soit faite sur sa mort.

Cet après-midi du 13 décembre 1998, la carcasse d’une Toyota Land Cruiser et quatre cadavres sont retrouvés sur la route de Sapouy, à une centaine de kilomètres au sud de la capitale. « Pas de traces de freinage, de dérapage ni de collision », précise le procès-verbal du constat d’accident, mais « deux douilles de calibre 12 posées l’une à côté de l’autre » et « une légère fumée provenant du coffre arrière ».

A l’intérieur du véhicule, à droite du conducteur, un corps calciné. Celui du directeur du journal L’Indépendant : Norbert Zongo. « Quand je suis arrivé sur les lieux, j’ai vu la voiture réduite à un tas de charbon. Pour moi c’était clair que tout avait été organisé, on avait assassiné Norbert », se rappelle avec émotion Timpousga Kaboré, dit « Timpous », ancien caricaturiste au sein de l’hebdomadaire.

Le régime vacille

A l’époque, c’est le choc. La thèse officielle d’une mort accidentelle suscite colère et indignation. Des milliers de manifestants, des étudiants notamment, défilent un peu partout dans le pays. « C’était du jamais-vu, jamais un journaliste n’avait créé autant d’émoi », se souvient Abdoulaye Diallo, le directeur du Centre national de presse Norbert-Zongo. Pour la première fois, le régime du président Blaise Compaoré vacille. Face à la pression populaire, il devra créer une commission d’enquête indépendante. « Norbert Zongo a été assassiné pour des motifs purement politiques parce qu’il pratiquait un journalisme engagé d’investigation », conclut celle-ci.

En 2001, un premier suspect est inculpé : le militaire Marcel Kafando, qui bénéficiera, à la stupéfaction générale, d’un non-lieu quelques années plus tard, après la rétractation d’un témoin. Il faudra attendre la chute de Blaise Compaoré, en octobre 2014, chassé par la rue après vingt-sept ans de pouvoir, pour que le dossier Zongo soit finalement rouvert. Depuis, la justice burkinabée a procédé à « trois autres inculpations et des dizaines d’auditions », selon l’avocat de la famille, Prosper Farama. « Le dossier pourrait même être jugé à l’heure actuelle », indique-t-il. Problème : François Compaoré, le petit frère de l’ancien président, considéré comme l’un des principaux suspects, court toujours en France.

Au « pays des hommes intègres », Norbert Zongo, alias Henri Sebgo – son pseudonyme –, est devenu une icône. « Norbert est une figure centrale dans l’histoire de notre pays. C’est un symbole de la liberté d’expression et de la lutte contre la corruption, l’impunité et la violation des droits humains », analyse Germain Nama, ancien directeur de publication de L’Indépendant.

Des articles « trop critiques »

Pourfendeur acharné des manœuvres politiques du régime Compaoré, Norbert Zongo dérangeait le pouvoir. Déjà, lorsqu’il débute sa carrière au quotidien d’Etat Sidwaya, ses articles jugés « trop critiques » ne sont pas publiés. En 1993, il refuse une mutation dans l’ouest du pays pour fonder son propre hebdomadaire. « L’Indépendant était le seul espace de liberté et de critique à l’époque. Les gens faisaient la queue le mardi aux kiosques pour l’acheter. Il arrivait qu’on tire jusqu’à 20 000 exemplaires, du jamais-vu au Burkina Faso », poursuit Germain Nama.

En 1998, lorsque Norbert Zongo commence à enquêter sur la mort suspecte de David Ouédraogo, le chauffeur du frère du président, l’étau se resserre. « Il savait qu’il était en danger, il recevait des menaces, l’enquête sur David le bouffait. Sa mère lui avait même demandé d’arrêter, mais il était déterminé à continuer », se rappelle son ami « Timpous » en replongeant dans les pages jaunies des archives du journal.

Le 8 décembre 1998, quelques jours avant de prendre la route pour Sapouy, à quelques kilomètres de son ranch où il aimait chasser le dimanche, Norbert Zongo écrit, dans un édito devenu célèbre : « Supposons aujourd’hui que L’Indépendant arrête définitivement de paraître pour une raison ou pour une autre (la mort de son directeur, son emprisonnement, l’interdiction définitive de paraître…), nous demeurons convaincus que le problème David restera posé et que, tôt ou tard, il faudra le résoudre. »

« Génération Sankara »

Aujourd’hui, la figure de Norbert Zongo reste vive dans la mémoire des Burkinabés. Ses écrits, ses idées et sa vision du métier continuent d’inspirer la jeune génération et de susciter des vocations. Films, festivals, livres et chansons… Les hommages se multiplient dans le pays et sur le continent africain.

Ce jeudi 13 décembre, à l’université de Koudougou, la ville natale du journaliste, située à une centaine de kilomètres à l’ouest de la capitale, les étudiants ont prévu de défiler dans les rues pour réclamer « justice et vérité ». « Pour nous, il représente un espoir, un leader qui s’est battu pour l’avènement d’une société plus juste et pour les libertés du peuple. C’est un modèle que nous devons suivre pour l’amélioration de nos conditions de vie, son courage et son combat nous ont insufflé un esprit de lutte », affirme Soumaïla Zongo, 25 ans.

« L’insurrection populaire des 30 et 31 octobre 2014, ce sont les enfants de la génération Sankara, nourris par la lutte pour Norbert Zongo. Son sacrifice a permis d’ouvrir le champ des libertés au Burkina, des espaces se sont créés, les jeunes ont commencé à exprimer tout haut ce qu’ils avaient peur de dire », analyse Abdoulaye Diallo, coréalisateur du documentaire Borry Bana, le destin fatal de Norbert Zongo. Depuis, la liberté de la presse s’est considérablement renforcée au Burkina Faso, qui compte désormais plus de 300 médias, dont au moins cinq journaux d’investigation.

Le combat judiciaire, lui, continue. Le 5 décembre, la justice française a autorisé l’extradition de François Compaoré au Burkina. Si le renvoi du « petit président » dans son pays d’origine ne devrait pas être effectif « avant 2020 ou 2021 » selon sa défense, les avocats de la famille Zongo ne désarment pas. « C’est une victoire d’étape. La quête de la justice est imprescriptible, il y a autant de pédagogie dans le jugement que dans la recherche même de la vérité », assure Me Farama.