Sous les lacrymogènes, les « gilets jaunes » de Nantes refusent de croire à l’essoufflement du mouvement
Sous les lacrymogènes, les « gilets jaunes » de Nantes refusent de croire à l’essoufflement du mouvement
Par Anne-Hélène Dorison (Nantes (intérim)
Quelque 1 200 personnes, selon la police, ont manifesté sous une certaine tension alimentée par des salves régulières de grenades lacrymogènes.
A Nantes, la police a procédé à seize interpellations et lancé des gaz lacrymogènes pour disperser les manifestants. / STEPHANE MAHE / REUTERS
Au rendez-vous, fixé « à la croisée des trams », à Nantes, peu avant 13 heures samedi 15 décembre, il y a Laurent, Patricia, Sandrine et une dizaine de copains, venus de Cholet (Maine-et-Loire), gilets jaunes sur le dos, capuches sur la tête et colères en bandoulière. Cette manifestation n’est pas une première pour eux, qui sont mobilisés depuis le premier jour.
Ils se sont levés tôt pour être là, vaille que vaille, leurs yeux sont cernés et ils le savent : la journée s’annonce humide. Mais, pour eux, pas question de rester à la maison. « Les annonces de Macron ? Mais de quelles annonces parle-t-on ? », se fâche Patricia, qui « bosse à la Sécu et n’en peu[t] plus de voir la détresse des gens, tous les jours ». Elle ajoute :
« Ce qu’il nous donne, Macron, c’est des miettes. Rien que des miettes. De toute façon, on ne l’intéresse pas. Il n’est même pas capable de venir nous parler en face et en direct. Il nous insupporte. Maintenant, c’est carrément physique. Ce qu’on veut, nous, c’est sa démission. Point. »
Quelques minutes plus tard, alors que déjà un premier nuage, épais, de gaz lacrymogène enveloppe le cours des 50-Otages, où 1 200 personnes se sont rassemblées, Corinne regarde les forces de l’ordre s’avancer, en rangs serrés. « Moi, je n’étais pas là, au départ. J’étais sceptique », dit la jeune femme. « Je voulais savoir où ce mouvement nous mènerait, s’il avait du sens. Aujourd’hui, j’en suis convaincue. »
« Ils nous ont gazés direct »
Son voisin, qui est allé acheter cette semaine un masque à gaz et des lunettes de plongée, après avoir « mangé trop de gaz samedi dernier », ne parle pas des taxes. Il veut un RIC, ce référendum d’initiative citoyenne, dont plusieurs « gilets jaunes » parlent, à Nantes et ailleurs. « Les décisions ne doivent plus être prises sans nous. Nous aussi, on doit avoir notre mot à dire », explique aussi Bertrand, un jardinier venu de Saint-Nazaire (Loire-Atlantique) avec sa femme, Sylvie, et leur fille Amélie.
En attendant, peste Corinne, « on est en France et on ne peut même plus manifester. Regardez-ça... », dit-elle en observant les nombreux gendarmes et policiers mobilisés, qui dispersent, une nouvelle fois, le cortège, soudain éclaté. « Ils nous ont gazés direct à la préfecture », gronde une dame aux cheveux blancs. « Pas étonnant que les jeunes aient la rage, après ça. »
Ici et là, des commerces ont tiré leurs rideaux en catastrophe et les badauds pressent le pas pour échapper au gaz. Parmi les manifestants, des équipes de « street médic », ces manifestants qui viennent en aide aux blessés, se faufilent pour proposer aux yeux les plus rougis du sérum physiologique. Dans la rue, plus personne ne scande « Macron démission ! » Désormais, c’est la police qui fait l’objet d’insultes. Divers projectiles fusent aussi dans sa direction.
Seize interpellations, six blessés
Les anciens restent en retrait. Ce sont les plus jeunes qui enflamment des palettes en travers de la chaussée. Nouvelle charge policière. Et nouveau recul. « Mais on n’a rien fait, là ! », hurle un jeune homme en remontant son écharpe sur le nez.
Les manifestants restants sont repoussés encore et en encore. Le marché de Noël est fermé pendant quelques minutes. En chemin, les vitres de deux abribus volent en éclats. Une poubelle est enflammée. Bien vite, des « gilets jaunes » éloignent les containers qui se trouvaient à proximité, pour éviter qu’ils ne s’embrasent à leur tour, près d’un petit bar de quartier, au pied de la médiathèque.
Ce qui reste du cortège s’est soudainement éloigné du centre-ville, à présent. Des jeunes gens courent le long des voies de tramway, au milieu d’automobilistes un peu paniqués, sur le quai de la Fosse. Une fumée noire s’élève. Une voiture de location de la mairie vient d’être incendiée près de l’arrêt de tram Chantiers navals. Un nouveau nuage de gaz lacrymogène se forme et l’on voit des policiers fondre sur certaines silhouettes.
A 18 heures, seize personnes ont été interpellées, selon les autorités. Deux policiers et quatre manifestants ont été blessés, sans plus de précisions, à 20 heures. Certains commerçants ont vécu une journée difficile, mais aucun magasin n’a été pris pour cible et les dégâts matériels sont très limités.
A la croisée des trams, des « gilets jaunes », trempés jusqu’aux os, promettent déjà qu’ils ne « lâcheront pas ». « Eh vous ! Les journalistes, vous allez dire qu’on était combien ? », interroge un manifestant au regard noir, avant de repartir. « J’espère que vous, les médias, vous n’allez pas chercher à minimiser, hein. Notre mouvement, il ne s’essouffle pas. »