GLÉNAT

Omar Bongo, Jacques Foccart, Loïk Le Floch-Prigent, Robert Bourgi… Les personnages qui peuplent L’Argent fou de la Françafrique, bande dessinée de Xavier Harel et Julien Solé publiée fin novembre aux éditions Glénat, sont bien connus des familiers de l’Afrique, aux yeux desquels ils incarnent les relations opaques qu’ont tissées, depuis les indépendances des années 1960, la France et certaines de ses anciennes colonies (mais pas seulement).

Un système fait de valises de billets, de pétrodollars détournés et de financement de partis politiques en échange du soutien à des régimes autoritaires, que les auteurs, en partenariat avec le Comité catholique contre la faim et pour le développement (CCFD-Terre solidaire), ont choisi de décrire à travers le dossier des « biens mal acquis », ces hôtels particuliers parisiens, grosses cylindrées, objets d’art ou costumes de luxe que des dirigeants de pays africains sont soupçonnés de s’être payés en puisant dans les caisses de leurs Etats respectifs.

Figure emblématique de ces abus et point de départ de la BD, Teodoro Nguema Obiang Mangue, alias « Teodorin », fils aîné du président de Guinée équatoriale et lui-même vice-président de cette ancienne colonie espagnole, a été condamné en 2017 par la justice française à 30 millions d’euros d’amende et trois ans de prison avec sursis pour « blanchiment de bien social et recel de détournements de fonds publics », après avoir vu la confiscation de 150 millions d’euros de biens mal acquis.

Mais d’autres dirigeants sont à l’honneur dans L’Argent de la Françafrique : le Gabonais Ali Bongo, le Congolais Denis Sassou-Nguesso, le Camerounais Paul Biya… Sans oublier, côté français, de nombreux hommes politiques, tous partis confondus (Dominique de Villepin, Bernard Kouchner…), des entreprises comme la compagnie pétrolière Elf (devenue Total) et la banque Société générale, et de sulfureux intermédiaires…

Liens occultes et voies tortueuses

Riche en textes, la BD n’en est pas moins pédagogique et à la portée de ceux pour qui la Françafrique se résumerait à une chanson de Tiken Jah Fakoly. Le trait de Julien Solé, bien connu des lecteurs du mensuel humoristique Fluide glacial, sert à merveille les explications du journaliste d’investigation Xavier Harel, coauteur de l’ouvrage Le Scandale des biens mal acquis, enquête sur les milliards volés de la Françafrique (avec Thomas Hofnung, éd. La Découverte, 2011).

Car pour visualiser les liens occultes qui unissent régimes africains, partis politiques français, entreprises privées et paradis fiscaux, pour retracer les voies tortueuses qu’empruntent les centaines de millions d’euros dont les simples citoyens africains ne verront jamais la couleur, un bon croquis vaut mieux qu’un long discours. Surtout s’il s’agit de celui de Nicolas Sarkozy à Cotonou, en 2006, quand l’ancien président plaidait pour une relation « débarrassée des scories du passé », avant d’être mis en examen pour « corruption passive » et « recel de fonds publics libyens » dans le cadre du financement de sa campagne de 2007.

Malédiction de l’or noir, captation des richesses, secret bancaire… En partant des biens mal acquis, les auteurs éclairent toutes les facettes de la Françafrique et rendent hommage à ceux qui se battent pour porter ce système devant les tribunaux : notamment CCFD-Terre solidaire et son ancien chargé de mission Jean Merckaert ; mais aussi Transparency International, l’association Sherpa (de l’avocat William Bourdon) et les militants africains tels que les Gabonais Marc Ona et Gregory Ngbwa Mintsa (mort en 2014) ou les Congolais Benjamin Toungamani et Bruno Ossébi (mort en 2009).

Pour tous ces acteurs, au-delà de la condamnation de dirigeants africains, « la justice ne sera complète que le jour où les politiques, les entreprises françaises et leurs intermédiaires auront aussi à répondre de ce système devant les juges », dit Jean Merckaert. Mais surtout lorsque les biens mal acquis seront enfin restitués aux populations spoliées.

L’Argent fou de la Françafrique, l’affaire des biens mal acquis, de Xavier Harel et Julien Solé, éd. Glénat (96 pages, 17,50 euros).

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