• Franz Schubert
    Symphonies 1 et 6
    B’ Rock Orchestra, René Jacobs (direction)

Pochette de l’album consacré à Franz Schubert (Symphonies 1 et 6), par le B’ Rock Orchestra, dirigé par René Jacobs. / PENTATONE / OUTHERE MUSIC

S’il s’agissait de rock et non pas de « Bee Rock » (conformément au nom de le la formation belge fondée en 2005), cet album pourrait s’appeler « Naissance d’une star ». En effet, les cinq ans qui séparent la 1re et la 6e symphonie de Schubert correspondent à la période qui a vu le compositeur s’imposer dans un genre où les références intimidantes ne manquaient pas. La 1re symphonie (1813) manifeste l’entrée en scène décomplexée d’un jeune homme de 16 ans qui ne lésine pas sur les moyens pour atteindre une grandeur monumentale à la Haydn tout en ouvrant des fenêtres sur un lyrisme très personnel. La 6e symphonie (1818) a plus de force car elle est concentrée, dans le martèlement orageux comme dans l’allègement chorégraphique. Le scherzo (en écho à celui de la 7e symphonie de Beethoven) et le finale prouvent que Schubert n’a plus rien à envier à son « dieu » Ludwig dans l’art du développement. En dépit de violons parfois souffreteux, le B’ Rock Orchestra livre des interprétations pleines de sève sous la direction galvanisante de René Jacobs. Pierre Gervasoni

1 CD Pentatone/Outhere Music.

  • Serge Rachmaninov
    Destination Rachmaninov – Departure

    Concertos pour piano n° 2 et n° 4 op. 40. Transcription de la Partita pour violon n° 3 BWV 1006, de Bach
    Daniil Trifonov (piano), Orchestre de Philadelphie, Yannick Nézet-Séguin (direction)

Pochette de l’album « Destination Rachmaninov – Departure ». / DEUTSCHE GRAMMOPHON

Ces deux-là ont tout pour s’entendre, musiciens jusqu’au bout des ongles, vivant la musique comme on respire. Il suffit de quelques mesures à Trifonov pour imposer à l’esprit la silhouette puissante du Concerto n° 2. Jamais outrancier, toujours inventif, le pianiste éblouit par le pouvoir d’une imagination sans repos, mue par une compréhension intuitive et naturelle de cette partition bouillonnante et passionnelle. Celle-ci est légitimée par l’esprit de reconquête d’un Rachmaninov resté mutique pendant trois ans après l’échec de sa première symphonie. Au côté de Trifonov, Yannick Nézet-Séguin, plus qu’un complice, se révèle un alter ego prêt à toutes les audaces. Des qualités de symbiose que l’on retrouve dans le Concerto n° 4, dont le mouvement central, véritable sublimation nostalgique, semble naître des doigts mêmes de Trifonov, tandis qu’il confère au finale une électrisante jubilation à la Prokofiev. La transcription de Bach, d’une fluidité noble, clôt cet album en tous points remarquable. Marie-Aude Roux

1 CD Deutsche Grammophon.

  • Divers artistes
    A Day in the Life : Impressions of Pepper

Pochette de l’album « A Day in the Life : Impressions of Pepper », par divers artistes. / IMPULSE-VERVE / UNIVERSAL MUSIC

Sgt. Pepper’s Lonely Hearts Club Band (1967) est l’un des albums les plus célèbres des Beatles. A plusieurs reprises, il a été réinterprété en entier : en 1992 par le groupe californien Big Daddy, appliquant à chaque chanson un style (façon Elvis Presley, Paul Anka, Jerry Lee Lewis...), en mode reggae par le Easy Star All-Stars, en 2009, ou en 2014 par The Flaming Lips, avec divers groupes amis. Nouvelle version en 2018 : celle de musiciens plus ou moins sous étiquette jazz (dont Antonio Sanchez, Keyon Harrold, Miles Mosley, Shabaka Hutchings...), pour une exploration instrumentale. Du piano solo (Sullivan Fortner sur When I’m Sixty-Four) au sextette (la formation de la harpiste Brandee Younger sur Being For the Benefit of Mr. Kite). Globalement assez réussi, le plus souvent en ne gardant qu’une évocation mélodique en rappel des compositions, avec de l’inventivité dans les arrangements, que cela soit dans la forme classique du trio piano, basse, batterie, des envies aux portes du free jazz ou une manière de jazz-pop assez bien tourné. Sylvain Siclier

1 CD Impulse-Verve/Universal Music.

  • Saez
    #humanité

Pochette de l’album « #humanité », de Saez. / ART-CINQ 7 / WAGRAM MUSIC

Depuis bientôt vingt ans – son premier album date de 1999, le prochain est déjà annoncé pour 2019 –, Damien Saez mène un parcours musical qui passe aussi bien par le rock le plus direct que par l’épure d’un accompagnement au seul piano ou à la guitare, par des orchestrations symphoniques, des virées électro, des inspirations de musiques du pourtour méditerranéen... #humanité appartient plutôt au registre rock le plus tendu, urgent, à partir d’une base guitare, basse et batterie – la chanson titre, qui ouvre l’album, étant la plus orchestrée, avec des cordes et des percussions. La surexploitation de la Terre, les méfaits de la société marchande, la dictature des réseaux sociaux, les drogues (artificielles, religieuses...) sont quelques-uns des thèmes abordés, par des textes directs, voire crus. Il y a une densité musicale, en accord avec les sujets, une sincérité dans les emportements, une exaltation vocale, comme un chant désespéré, face aux dérives du monde. Sylvain Siclier

1 CD Art-Cinq 7/Wagram Music.

  • Refree
    La Otra Mitad

Pochette de l’album « La Otra Mitad », de Refree. / TAK:TIL / GLITTERBEAT

Le guitariste barcelonais Refree (Raül Fernandez Miro) est l’un des producteurs renommés d’Espagne. Il a produit, arrangé et joué sur les albums de Silvia Pérez Cruz, réalisé celui qui révéla, en 2017, une autre chanteuse catalane, Rosalia, la nouvelle star de la scène pop espagnole. Il a travaillé également pour Las Migas, Kiko Veneno ou Lee Ranaldo, du groupe de rock indé américain Sonic Youth. Son inspiration féconde et sa singularité s’imposent encore dans cet album réunissant deux EP instrumentaux parus en 2017 : Jai Alai Vol. 01, des mélodies de guitare minimalistes, et Jai Alai Vol. 02, dans lequel le guitariste introduisait des arrangements électro et des samples de Niño De Elche et Rocio Marquez, deux des voix les plus radicales et inspirées du flamenco contemporain. Plusieurs de ces morceaux ont été composés pour la bande originale du film Entre Dos Aguas, du réalisateur espagnol catalan Isaki Lacuesta. Expérimental et mélancolique, un album exaltant. Patrick Labesse

1 CD tak:til/Glitterbeat.

  • Anderson .Paak
    Oxnard

Pochette de l’album « Oxnard », d’Anderson .Paak / TONE MUSIC / AFTERMATH RECORDS

Entré par la grande porte du rap américain en participant à l’album Compton, de Dr Dre, le batteur et chanteur Anderson .Paak connaît depuis une carrière florissante. Invité sur tous les albums majeurs de hip-hop actuel, le rappeur à la voix éraillée et au groove solaire redynamise des titres au rythme très ralenti. Son troisième album, titré du nom de la ville qui l’a vu grandir, au nord de Los Angeles, Oxnard, n’échappe pas à la règle. Beaucoup d’artistes lui ont renvoyé l’ascenseur, à commencer par Kendrick Lamar, avec qui il signe un très funky Tints. On trouve également l’autre belle plume du rap américain, J. Cole, sur le plus pop et psychédélique Trippy, l’ineffable Snoop Dogg pour le planant Anywhere, et la légende du hip-hop new-yorkais, Q-Tip, leader d’A Tribe Called Quest, pour un Cheers gorgé de cuivres. Avec le mentor Dr Dre et la rappeuse Cocoa Sarai, qui a des intonations à la Nicky Minaj, il signe un rap typique de la scène underground californienne, Mansa Musa, entre bagout de maquerau et gouaille de dealer. Un album riche, mais qui ne renoue pas avec la belle énergie et l’innocence de ses deux précédents opus, Venice et Malibu. Stéphanie Binet

1 CD Tone Music/Aftermath Records.

  • Jeff Tweedy
    Warm

Pochette de l’album « Warm », de Jeff Tweedy. / DBPM RECORDS

Dans la foulée d’une autobiographie, Let’s Go (So We Can Get Back), parue cette année chez Dutton (non traduite), Jeff Tweedy se livre dans son premier album solo de chansons originales. Si le leader du groupe Wilco a toujours su instaurer une attachante intimité avec ses auditeurs, en transcendant héritage country-folk et griffures rock, jamais le chanteur de l’Illinois ne s’était autant mis à nu. La proximité rustique d’une guitare sèche, doublée de touches subtiles d’électricité ou de pedal-steel acidifiée, transporte au cœur de confidences et constats, suscités par la mort d’un père, la maladie d’une compagne ou la crise de la cinquantaine. Loin de rester au fond du trou, le guitariste à la voix doucement écorchée trouve, avec humour et lucidité, un chemin chaotique – et magnifique – vers le bout du tunnel. Mélodies prenantes (Bombs Above, Don’t Forget), enjouée (Let’s Go Rain) ou hypnotique (The Red Brick) construisent un Warm rayonnant d’humanité, optimiste malgré tout. Stéphane Davet

1 CD dBpm Records.